“C’était exactement de la musique, voyez-vous,
la caméra en hauteur avec les violons,
et soudain la grosse tête avec les cuivres”
Alfred Hitchcock
“Hi,hi,hi,hi, ...les violons aigus, c’est comme des cris d’oiseaux
et comme Norman est empailleur d’oiseaux”
Claude Chabrol à propos de Psychose
et soudain la grosse tête avec les cuivres”
Alfred Hitchcock
“Hi,hi,hi,hi, ...les violons aigus, c’est comme des cris d’oiseaux
et comme Norman est empailleur d’oiseaux”
Claude Chabrol à propos de Psychose
On n’a peut-être pas suffisamment pris la mesure de l’importance de la musique dans l’œuvre d’Alfred Hitchcock, importance dont ses comparaisons musicales témoignent alors même qu’elles concernent moins la musique elle-même que le traitement visuel et son impact émotionnel. Qu’on songe à sa célèbre apostrophe : “Avec Psychose, je faisais de la direction de spectateur exactement comme si je jouais de l’orgue”. Et lorsque le cinéaste confie à François Truffaut : “Mon esprit est strictement visuel ”, nous avons tendance à l’entendre par opposition au dialogue alors même que son esprit cherchait l’inspiration de la mise en scène du côté de l’émotion musicale (1). Enfin, on a pas oublié la célèbre séquence de The Man Who Knew Too Much (L’Homme qui en savait trop, 1956), où le coup de feu doit correspondre au coup de cymbales : “Pour qu’une telle scène obtint sa force maximale, l’idéal eût été que tous les spectateurs sachent lire la musique ”.
Le précédent Psychose Chacun sait que le nom de Bernard Herrmann est indissociable de celui d’Alfred Hitchcock pour ses compositions qui couvrent la période de 1955 - The Trouble With Harry (Mais... qui a tué Harry ?) - à 1964 - Marnie (Pas de printemps pour Marnie), soit au total huit films (2). Une exception cependant, dans cette collaboration, est constituée par The Birds (Les Oiseaux, 1963) dont chacun se souviendra peut-être qu’il ne lui revient aucune musique en mémoire. Et pour cause : le film en est dénué. Pourtant, François Truffaut l’avoue lui-même devant le cinéaste : “Une discussion sur Les Oiseaux serait incomplète si l’on ne parlait pas de la bande sonore. Il n’y a pas de musique mais les sons d’oiseaux ont été travaillés comme une véritable partition”. Hitchcock répondit : “La production et la composition du son électronique ont pour auteurs Rémi Gassman et Oskar Sala. Ensuite, j’ai demandé à Bernard Herrmann de superviser le son de tout le film. Lorsqu’on entend des musiciens, quand ils composent ou quand ils font une orchestration ou encore quand l’orchestre s’accorde, il leur arrive de faire non de la musique mais des sons. Voilà ce dont nous nous sommes servis pour le film entier. il n’y avait pas de musique”.
Claude Chabrol a raison de remarquer que la musique composée par Bernard Herrmann pour la célèbre séquence du meurtre sous la douche dans Psycho (Psychose, 1960) évoque le cri des oiseaux. Réalisés par des instruments traditionnels, il s’en faut de peu pour que ces sons semblent tout droit sortis des ordinateurs. La ressemblance est d’autant plus intrigante qu’Hitchcock ne souhaitait aucun accompagnement musical pour cette séquence et que c’est à l’écoute de la bande réalisée par le compositeur, à son insu, qu’il revint sur sa décision. En outre, Les Oiseaux succède immédiatement à Psychose. Les deux scénarios entretiennent trop de ressemblances entre eux pour qu’une filiation, y compris sur le plan musical, ne puisse être établie. Des deux côtés, deux hommes immatures vouent un attachement excessif à leurs mères respectives qui leur vaut de tenir à distance les femmes et d’avoir pour passion ou allié les oiseaux (le premier est taxidermiste et assassin, le second, soumis à une mère possessive, s’en remet aux volatiles). Qui n’aurait pas compris ce lien à la limite du psychanalytique et du thématique peut s’en remettre à l’analyse comparée des séquences proprement dites où les deux jeunes héroïnes sont menacées de mort. Le meurtre sous la douche ainsi que l’attaque finale dont fait l’objet la jeune femme dans le grenier familial se répondent, en effet, terme à terme. Violence visuelle, par un découpage extrême, et violence sonore sont en tout point identiques. Les cris d’oiseaux ont succédé aux notes aigues des violons, les oiseaux vivants ont pris la place de celui qui, par une série de substitutions, leur fait subir le même sort qu’à sa propre mère (il les empaille) avant de s’identifier à celle-ci (il lui emprunte sa voix). Par la “bouche” des volatiles, ce sont indirectement les mères qui parlent et se vengent de la menace que représente la sexualité féminine.
Le dialogue des Oiseaux Si un détour sommaire par l’interprétation s’impose, au risque de paraître réductrice, c’est que plus que dans tout autre film, les interventions sonores sont réduites au minimum. C’est ainsi que dans Les Oiseaux, elles sont essentiellement constituées des cris stridents des volatiles et de ceux de leurs victimes. La composition sonore de la célèbre séquence où la jeune femme attend devant l’école est à ce titre exemplaire. Ce chant entêtant ne semble là que pour permettre aux oiseaux de se regrouper et de faire basculer le film dans le registre fantastique. La bande sonore composée par ce chant lancinant atteste la durée réelle de l’action que la découverte de milliers de corbeaux sur les portiques, par l’héroïne aussi bien que par le spectateur, dément de manière terrifiante. C’est au traitement sonore, ici, que le film doit le tour onirique qu’il emprunte : dorénavant, les cris d’oiseaux couvrent ceux des humains.
Par ailleurs, s’il semble juste d’opposer la comptine innocente des enfants à la masse hurlante des nuées d’oiseaux, d’autres rapprochements dénotent une plus grande ambivalence de ces derniers animaux. C’est ainsi que lorsque dans la séquence introductive du film, l’imprudence de l’héroïne libère de sa cage un canari, les petits cris aigus féminins, poussés par la propriétaire des lieux et l’héroïne usurpatrice à la recherche du volatile, ressemblent à s’y méprendre à des gémissements de plaisir que le héros masculin éteint à l’aide de son couvre-chef dont il emprisonne le fugitif. Non sans avoir prononcé cette sentence : “Retournez dans votre cage dorée Mélanie Daniels”. Que la sexualité ainsi libérée trouve son incarnation dans ce premier oiseau suivi, de près par ses congénères, nous en trouverions a contrario la preuve dans le mutisme constant du couple de ‘love birds’ que souhaite offrir le héros à sa jeune sœur (et qui servira de prétexte à l’entreprise de séduction de la jeune femme). Le tableau serait incomplet sans l’évocation de la séquence où les ‘love birds’, dans leur cage posée aux pieds de la conductrice, épousent sagement et silencieusement, par leurs mouvements, les courbes de la route. Ce silence et cette placidité (ces oiseaux ont été choisis parce qu’ils sont peu démonstratifs à la saison des amours) contrastent avec la conduite sportive de la décapotable par sa propriétaire. Conduite dont témoignent le vrombissement du moteur ainsi que le crissement des pneus. Ces seuls éléments sonores, d’autant plus insolites lorsqu’ils accompagnent le gros plan sur la cage des ‘love birds’, nous ramènent à ce commentaire judicieux de Jean Douchet selon lequel, “Si le train est du genre masculin, la voiture, en revanche, est signe de féminité. Ce que tend à prouver la prédilection de notre cinéaste pour les jolies conductrices au volant” (3). Mais c’est en roulant au pas que la voiture conduite par le héros masculin quittera la demeure familiale au milieu d’un tapis d’oiseaux menaçants, et bien sûr, toujours en compagnie des ‘love birds’ imperturbables (4). Cette lente procession finale vers le salut s’effectue dans un silence à peine troublé par le ronronnement du moteur et par quelques coassements électroniques isolés dont le spectateur a appris, au fil des séquences, qu’ils précédaient les attaques groupées des oiseaux.
Plus généralement, cette vision ultime à hauteur d’homme semble faire écho au plan “d’en haut” complètement insolite de la petite ville de Bodega Bay en proie à la violence conjuguée des flammes et des volatiles. Ce “point de vue des oiseaux”, en quelque sorte, laisse entendre au spectateur un son qui n’est pas sans rappeler celui élaboré par Robert Aldrich lorsque les protagonistes ouvrent la boite de Pandore dans son film Kiss Me, Deadly (En quatrième vitesse, 1955) (5). Ici, un grondement sourd ponctué de quelques cris d’oiseaux semble recouvrir le monde des humains.
Il n’est pas jusqu’aux silences qui ne soient encore du Bernard Herrmann, ou du moins qui n’aient été crées artificiellement. Le cinéaste cite ainsi la séquence finale lorsque le personnage ouvre la porte de la maison : “J’ai demandé un silence mais pas n’importe quel silence ; un silence électronique d’une monotonie qui pouvait évoquer le bruit de la mer entendu très loin. Transposé en dialogues d’oiseaux, le son artificiel veut dire : “Nous ne sommes pas encore prêts à vous attaquer, mais nous nous apprêtons. Nous sommes comme un moteur en train de ronronner. Nous allons bientôt démarrer” (6).
Les cris d’oiseaux, ainsi stylisés, font office de dialogue : “Pour bien comprendre un bruit, il faut imaginer ce que donnerait son équivalent en dialogues. Je voulais obtenir dans la mansarde un son qui signifierait la même chose que si les oiseaux disaient à Melanie : “Maintenant, nous vous tenons (...) Nous n’avons pas besoin de pousser des cris de triomphe (...), nous allons commettre un meurtre silencieux” (7). Le spectateur comprend ce parti-pris de substituer à une partition musicale une bande son électronique comme un moyen pour le cinéaste de faire entendre la voix des oiseaux. C’est le point de vue subjectif des volatiles qui importe, sonore ici et visuel là, dans le plan en plongée sur la cité en flammes. Une musique à l’instrumentation classique serait encore un humanisme alors même que le monde des ténèbres, de la barbarie - du çà, dirait une terminologie plus psychanalytique - menace la civilisation.
Pour ôter à cette conclusion toute vanité excessive, on peut de manière plus prosaïque, arguer que la substitution d’une bande son électronique à une partition instrumentale inaugure celle que le cinéaste s’apprêtera à effectuer de son compositeur de prédilection au profit de John Addison sur Torn Curtain (Le Rideau déchiré, 1966), voire au bénéfice du silence. Amorce d’un retour vers le cinéma muet de ses origines ? Exit cette musique que déjà, il récusa dans un premier temps pour la séquence de Psychose, qu’il réduisit à un traitement du son ambiant dans Les Oiseaux et qu’il minorisa dans le film de la rupture avec Bernard Herrmann ? En effet, pour celui qui a pu prendre connaissance du documentaire qui lui a été consacré (8), il est tout à fait éclairant de comparer la séquence du crime initialement préparée par Bernard Herrmann à celle volontairement muette choisie finalement par Hitchcock. À l’évidence, le cinéaste était clairvoyant lorsqu’il se mit à considérer que le travail du musicien empiétait sur ses prérogatives, tant la partition qu’il avait écrite éclaire et renforce l’imagination visuelle du maître du suspense. Hitchcock a trouvé dans ce compositeur, celui qui prolongeait, voire singularisait son univers, à l’instar du couple formé par Federico Fellini et Nino Rota… sauf que le cinéaste italien ne s’est, quant à lui, jamais séparé, de leur vivant du moins, de son génial alter ego musicien.
Jean-Louis Libois
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(1) Toutes les citations d’Alfred Hitchcock sont extraites des entretiens réalisés par François Truffaut, “Le Cinéma selon Hitchcock”, Éd. Cinéma/Seghers, 1975.
(2) On se reportera avec intérêt à l’article de Jacky Dupont consacré aux relations entre Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann, in “Colonne Sonore” n°1 (Printemps-été 1999).
(3) Jean Douchet, “Hitchcock”, Éditions de l’Herne, 1985.
(4) On sait que le cinéaste incluait dans le traitement sonore tout ce qui concernait le son ambiant, comme en témoigne cette réponse faite à François Truffaut sur la question du bruitage. C’est ainsi, qu’évoquant la séquence où la mère se rend en camionnette chez le fermier voisin et découvre le meurtre commis par les oiseaux, Alfred Hitchcock précisa : “La bande sonore est capitale à ce moment là. On entend les bruits de pas de la mère courant à travers le couloir et, sur ce son, il y a un léger écho (...). Ensuite, quand elle repart, le bruit de pas est proportionné à la dimension de l’image, augmente jusqu’à ce qu’elle entre dans la camionnette et, à ce moment là, on entend un son d’agonie, celui du bruit de la camionnette, déformé ”. Op. cité, p. 331 et suivantes.
(5) Se reporter à notre article De bruit et de fureur in “Colonne Sonore” n°4, 2002.
(6) Op. cité, p. 333.
(7) Op. cité, p. 332
(8) Bernard Herrmann, film documentaire réalisé par Joshua Waletzky (La Sept, 1992).
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