vendredi 8 juillet 2011

Nouvelle vague : deux ou trois choses que nous voulons dire d'elle (III)


Le Signe du Lion




Rohmer, grand mélomane, auteur de “Mozart en Beethoven” (dédié à son compositeur attitré Jean-Louis Valéro), a su utiliser la musique dans son œuvre d’une manière originale - que ce soit dans Charlotte et son steak (1951), Perceval le Gallois (1979), Le Rayon vert (1985) ou Conte d’été (1996). Chaque film a donné lieu a une recherche spécifique autour de la musique, qu’elle soit diégétique ou extra-diégétique. Le Signe du Lion, son premier long métrage est un de ses rares films à recourir d’une manière importante à la musique extradiégétique. Pour la partition, il fait appel à Louis Saguer, élève de Paul Hindemith et de Darius Milhaud. De formation classique, Saguer signera aussi la musique de Joseph Herman, film de A. Roland en 1964.




La construction sonore du Signe du Lion se fait sur quatre principes musicaux. Ces quatre strates correspondent à chacune des étapes de la “chute” sociale du protagoniste. Dans un premier temps, c’est la diégèse qui s’impose dans le récit traduisant les éléments sociaux sécurisants qui environnent le personnage. La petite soirée parisienne permet une première approche entre les protagonistes et la musique. Il s’agit d’une première étude dans laquelle la musique tient une place déterminante au sein d’une communauté. Il y a une interaction constante entre les protagonistes et l’objet musical : Godard dans son propre rôle agit directement sur la composition en levant le bras du tourne disque et en le replaçant aussitôt. Il agit ainsi sur la musique et impose au spectateur une nouvelle écoute de la partition. L’auditoire est condamné à une écoute parasitée par l’action des personnages. De même qu’un autre personnage joue du violon en nous sortant des fausses notes ou bien lorsque Pierre rate sa sonate dont il avait rêvait la veille.





La musique diégétique arrive ainsi par morceau, hachée, mal jouée, découpée ou dissimulée. Mais il semble justement qu’ici, la musique a un pouvoir, qu’elle est une entité qu’on doit vaincre, une force, une fascination. C’est cette même musique qui se fera l’écho des désillusions de Pierre lorsqu’il se retrouvera sans un sou à vagabonder dans les rues de Paris. Celle-ci, sous forme extra-diégétique reprend le thème de la sonate que Pierre commença à jouer après l’avoir rêvé.





La partition de Saguer, écrite pour un violon – instrument sacré du film – accompagne le personnage dans sa misérable errance et lui sert de subconscient cathartique. Elle est à la fois la résonance de cette altération physique et mentale, mais devient aussi le substitut du langage que Pierre semble avoir définitivement perdu. Trente ans plus tard, Rohmer retrouvera cette même puissance émotive dans Le Rayon vert à travers l’excellent quatuor à cordes composé par Jean-Louis Valéro.



Thomas Aufort


LA BOITE A ARCHIVES
Texte paru in Colonne Sonore n°3 (Printemps-Eté 2001)


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