vendredi 5 août 2011

The Nightmare before Christmas





Il a fallu deux ans et demi de travail à Danny Elfman pour composer la partition musicale et les chansons de The Nightmare Before Christmas (L’étrange Noël de Monsieur Jack, Tim Burton et Henry Selick, 1993). Dans ce travail d’écriture, la notion de rythme est prépondérante. À partir de ce vecteur, Elfman joue sur les oppositions, les alternances et “l’appropriation” pour parfaire la dramaturgie musicale de son oeuvre.

Appropriation des personnages Danny Elfman donne les moyens à sa partition de s’auto discipliner. Le tempo arrive au moment où la profusion des échanges harmoniques s’exprime dans une anarchie musicale. La rythmique tempère et organise cette profusion. Chez Elfman, le rythme est une autorité qui régule toutes les émotions. Il est aussi la projection d’une volonté démiurgique : c’est le pouvoir d’Elfman qui s’exerce à travers la partition. Pour ce faire, il a trouvé le moyen d’intervenir à l’intérieur même de celle-ci.





Cette projection est explicite dans l’appropriation du personnage de Jack : le musicien écrit, compose et interprète vocalement le personnage principal. C’est une façon d’établir des liens entre la composition et la fiction. Elfman semble intervenir au cœur même du film : Jack est le détonateur de toutes les composantes musicales. Si la musique d’Elfman essaie de coller à la personnalité du héros, c’est finalement ce dernier qui arrive à imposer sa musique à l’intérieur même du film. Le conflit intérieur de Jack est une proposition musicale avant tout. Elle a des incidences sur l’intégralité de la partition. Pour s’approprier la fiction, Elfman ira même plus loin en s’offrant aussi le personnage de Barrel dans le trio des garnements. C’est une façon pour lui d’intervenir plus largement dans le récit.




Oppositions des styles Au même titre que ses personnages, Elfman veut avoir à subir ce qu’il a lui-même orchestré. A travers sa musique, on peut ressentir cette connivence, ce “passage” entre les deux mondes, entre la volonté du démiurge et les péripéties des personnages. Cette idée d’intermédiaire est l’idée même du film. Elle apparaît comme un projet fantasmatique : circulation entre deux mondes différents (cultures, mœurs, société) vulgarisée par deux traditions : Noël et Halloween.




Le film joue sur les limites, les charnières, les intermédiaires du passage entre ces deux mondes. Il exprime les contradictions mais aussi les connivences possibles entre ces deux univers. Il défend l’importance des dissemblances à l’intérieur même de ses compositions en prenant la dramaturgie du conte au pied de la lettre : il décide d’imprégner sa partition de traditions musicales très marquées : le Boogie, le Jazz, la musette, la fanfare, la chorale, mais aussi des traditions théâtrales comme l’emphase et la déclamation. Cette volonté d’associer et de dissocier les styles va faire tout l’intérêt et toute la beauté de ses compositions. Ainsi, les personnages sont identifiables par des styles bien précis. Ceux-ci défendent chacun à leur façon et d’une manière plus ou moins avouée les différences culturelles (Jack et Boogie) ou le métissage culturel (Jack et Sally).




La combinaison des genres musicaux est une belle proposition qui tient de l’utopie. Elle est développée dans l’incipit de la partition : Elfman propose une entente entre les genres puis procède à une véritable déconstruction, pour ne pas dire ségrégation, des styles dans le reste de sa partition : on sépare le Boogie, la musette, la fanfare, le Jazz. Il faut attendre le final pour voir les genres coexister : ultime réponse à la morale du film édictée par Jack lui-même.


Alternance des mouvements Elfman joue sur l’élasticité du temps : il nous engage sur des fausses pistes comme s’il se jouait de celui-ci. Il n’hésite pas à stopper net certains morceaux, à les reprendre sur un rythme opposé et à bifurquer sur des compositions très différentes. Il n’y a pas de fidélité depuis la proposition d’un rythme. Au contraire, il affranchit certaines tonalités ou certains styles qui ont été jusque là relégués au second plan. Il peut aussi rallonger un morceau tout en se permettant des variations. Les mélodies et les tonalités semblent s’affronter entre elles dans des compositions labyrinthiques : Elfman joue ainsi sur la différenciation. De plus, les voix des personnages offrent une palette incroyable de sonorités nouvelles : on crie, on racle, on balbutie, on glapie sur des tonalités vocales sopranes, ténors ou barytones. Notre imaginaire est sollicité sans arrêt par cette foisonnante diversité. Chaque changement de ton et de rythme amène obligatoirement le spectateur à “imaginer”.





Enfin, Danny Elfman alterne les périodes sentimentales avec les périodes épiques. Le très beau “Sally’s Song” et les monologues intérieurs de Jack donnent une résonance théâtrale et élégiaque au film s’opposant au cynisme et à l’ironie des autres personnages (l’introspection de Jack et de Sally est aussi une forme musicale en soi). L’émotion redouble d’intensité lorsque l’un de ces soliloques est précédé d’une composition plus épique.

Thomas Aufort


LA BOITE A ARCHIVES
Texte paru in Colonne Sonore n°2 (Printemps-Eté 2000)

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