mardi 8 novembre 2011

Entretien avec J.A.C. Redford



J.A.C. Redford est un compositeur complet reconnu pour ses musiques de théâtre, de film et de télévision. Ses musiques symphoniques ont été interprétées par l’orchestre symphonique de l’Utah, l’Orchestre de Tel Aviv et le National Philharmonic Orchestra. Au Cinéma, Redford a signé les musiques de nombreux films des studios Disney dont Oliver and Company (Oliver et Compagnie, Scribner/1988) A Kid in King Arthur’s Court (Le Kid et le Roi, Gottlieb/1995) ou en a dirigé d’autres comme Nightmare Before Christmas (L’Etrange Noël de Mr Jack, Selick/1993), Black Beauty (Prince Noir, Thompson/1994), The Little Mermaid (La Petite Sirène, Clements et Musker, 1989).







J.A.C. Redford est le chef attitré de Rachel Portman. En tant que chef d’orchestre ou orchestrateur, Redford a collaboré avec les plus célèbres compositeurs hollywoodiens : Mark Isham, Mark Shaiman, Danny Elfman et James Horner, sur, pour ce dernier, Mighty Joe Young (Mon ami Joe, Underwood/1998), Deep Impact (Mimi Leder, 1998) et The Perfect Storm (En Pleine Tempête, Petersen/1999).
A la télévision, il a écrit plus de 480 épisodes ou séries dont Coach et St.Elsewhere (pour lequel il a reçu deux nominations aux Emmy en 1984 et 1985). J.A.C. Redford a été consultant musical au Sundance Film Institute de Robert Redford et a enseigné la musique de film à l’USC et l’UCLA.
Il officie actuellement au Comité exécutif de l’Academy Of Motion Picture Arts and Sciences, chargé de l’organisation des Oscars. Une fonction de plus pour un homme d’une naturelle modestie. La publication de sa biographie Welcome All Wonders : A Composer’s Journey, parue en 1997 (Baker Books) et consacrée quasi exclusivement à sa découverte de la foi chrétienne, a fait l’effet d’une « bombe » dans le petit milieu hollywoodien, un événement sur lequel il revient au cours de cet entretien. Rencontre avec l’un de ces « hommes de l’ombre » que sont les orchestrateurs et sur la réalité de leur métier.



L’Orchestrateur

Frédéric Gimello-Mesplomb : De quelle manière les orchestrateurs sont-ils considérés à Hollywood ? Y-a-t-il une structure ou une union pour défendre leurs intérêts ?

J.A.C. Redford : Les orchestrateurs sont bien respectés à Hollywood. Ils sont respectés par leurs pairs, par les musiciens du studio, par un certain nombre de compositeurs, de producteurs et de metteurs en scène. Toutefois, un certain nombre de réalisateurs n’arrivent pas à voir ce qui différencie un orchestrateur d’un compositeur, ils connaissent mal notre rôle exact dans le processus de création. Ces réalisateurs ont une vision tenace du rôle de l’orchestrateur. Ils l’imaginent comme un « assistant-compositeur », voire d’un simple copiste. La direction d’orchestre et l’orchestration rentrent pourtant dans les catégories représentées à l’AFM (American Federation of Musicians), tandis que la composition, curieusement, ne l’est pas. D’autres organisations de musiciens comme l’ASMA (American Society of Music Arrangers) et la SCL (Society of Composers and Lyricists) comprennent de nombreux orchestrateurs parmi leurs membres actifs.







FGM : On peut constater une grande division des tâches dans le processus de création hollywoodien, et plus spécialement dans le studio Disney pour lequel vous avez longtemps travaillé. Cette division artistique ne transforme-t-elle pas le compositeur en un simple « siffleur » de thème ?

JACR : Pas nécessairement. Le compositeur a toujours la possibilité d’orchestrer, d’arranger et de diriger sa propre musique, ainsi que le faisaient dans le passé des gens comme Bernard Herrmann, Georges Delerue ou Miklos Rozsa. Cette possibilité, cependant, devient de plus en plus rare. De nombreux scores, aujourd’hui, sont le résultat d’un travail d’équipe autour d’un ordinateur. Cela contribue à la division des tâches au sein d’un groupe de professionnels supervisés par un chef d’équipe, le compositeur. Ce dernier a de moins en moins de temps à cause des impératifs de post-production et surtout par la nécessité de produire des maquettes par ordinateur pour obtenir l’approbation du producteur ou du metteur en scène avant l’enregistrement. Il y a souvent des cas où le compositeur tient bon et redouble d’efforts en travaillant davantage, fournissant un matériel brut au producteur ou au réalisateur. L’ordinateur a rendu tout cela possible et a contribué à la compartimentation dont vous faite référence, ainsi que, malheureusement, à une certaine homogénéisation des scores ces dernières années.

FGM : N’êtes vous pas parfois confronté à un problème d’ego en travaillant dans l’ombre, au service de compositeurs célèbres, ou pensez-vous qu’il est aussi intéressant de travailler de la sorte ?

JACR : Je ne pense pas avoir de problème en travaillant pour un compositeur riche, célèbre, ou autre, du moment que nos relations de travail sont bâties sur le respect réciproque.







Le Chef d’orchestre


FGM : Comment avez-vous été amené à travailler sur l’Etrange Noël de Mr Jack (Disney 1995
, musique de Danny Elfman), alors que les meilleurs orchestrateurs étaient réunis pour l’occasion : Steve Bartek supervisait la musique, Chris Boardman dirigeait les chansons (orchestrées par Bartek…) et Mark Mc Kenzie orchestrait le score !?

JACR : Je ne sais pas. La production a eu un problème à quelques semaines de l’enregistrement. Il fallait un chef d’orchestre. Or, je connais très bien Mark, qui est un formidable musicien. J’aime beaucoup diriger, car cela représente pour moi à chaque fois un challenge d’apporter de la vie à la musique et une joie de travailler avec des musiciens doués comme ceux que vous venez de citer.







FGM : Parlez-nous un peu de votre collaboration avec Rachel Portman…

JACR : J’ai une relation privilégiée avec Rachel, autant sur le plan professionnel qu’humain. Nous sommes de très bons amis. J’éprouve une sensibilité particulière pour sa musique et j’apprécie diriger ses compositions. Elle utilise rarement le click-track et écrit beaucoup d’« accellerando » et de « ralentando » qui demandent une bonne communication entre le chef et le compositeur pour mettre au point les changements de tempo avec l’orchestre. Par conséquent, de sa musique transparaît une certaine émotion et un sens de la liberté. Ses musiques sont « larges » de cœur et de sensibilité, et elle n’attend pas moins de moi en ce qui concerne la direction de ses musiques.





La collaboration avec James Horner

FGM : Comment avez vous été amené à travailler avec James Horner ?


JACR : Très simplement. En fait, James et moi sommes représentés par le même agent, la compagnie Gorfaine/Schwartz. Michael Gorfaine m’a recommandé à la production pour Deep Impact. Le succès du film m’a conduit à travailler ensuite sur Mon ami Joe et En pleine tempête.

FGM : James Horner écrit très systématiquement dans ses scores des marches harmoniques évoluant par secondes successives. Un orchestrateur de James Horner a-t-il la possibilité de modifier cette structure harmonique qui peut sembler au premier abord d’une déconcertante simplicité ? Avez-vous pu proposer votre point de vue à James Horner concernant cette question ?

JACR : En tant qu’orchestrateur, je n’interviens à aucun moment pour modifier la structure harmonique d’une partition, à moins que l’on me demande de le faire, ce qui peut parfois arriver avec certains compositeurs. Je pense d’autre part que l’harmonie est la marque fondamentale de la « voix » intérieure du compositeur et je respecte ce point car j’aimerai aussi en ce qui me concerne que ma « voix » soit respectée si j’étais orchestré par quelqu’un d’autre.







FGM : Quelle est la différence entre « orchestrations » (En pleine tempête, Deep Impact) et « additional orchestrations » (Mon ami Joe) tant au niveau technique et artistique ?



JACR : Aucune différence sur le plan du métier. C’est juste une différence légale de crédit au générique du film. James a orchestré lui même un certain nombre de morceaux dans bon nombre de films qu’il a mis en musique. Ces morceaux sont écrits par lui, à la main, et envoyés aussitôt au copiste. Dans le cas précis de ces morceaux, l’orchestrateur devient un « additional orchestrator ».






FGM : Greg McRichie était assez amer lorsqu’il disait qu’il était difficile de collaborer artistiquement avec James Horner. Quelle a été votre expérience ?


JACR : C’est ce que l’on dit. Cela n’a pas été mon cas. J’ai découvert en James Horner un grand professionnel. Chaque partie de musique que j’ai orchestré était pleinement pensée et clairement écrite, ce qui a d’ailleurs rendu mon travail beaucoup plus facile. James Horner était conscient de mes responsabilités, réceptif à mes suggestions quant à l’orchestration de certaines parties, et de bonne compagnie en dehors du travail. C’est un très bon compositeur de film, et j’aime beaucoup travailler avec lui.



La Musique de Concert


FGM : Quel a été votre cursus musical ?


JACR : Je suis né et j’ai été élevé dans une famille d’artistes. Mon père est acteur et metteur en scène et ma mère a été cantatrice. La musique symphonique, l’opéra et les enregistrements de musiques pour le théâtre ont rythmé mes jeunes années. Encore enfant, j’accompagnais les exploits de mes soldats de plomb d’ «original scores» que je composais dans ma tête et qui étaient déjà totalement orchestrés. Mon premier instrument – et le seul dont je sais aujourd’hui me servir correctement – a été le trombone. Plus tard, je me suis essayé au piano, aux instruments à vent et à l’instrument indispensable à la rock génération à laquelle j’appartenais : la guitare. J’ai composé ma première œuvre à l’âge de 16 ans, une « jazz suite » en plusieurs mouvements. D’autres travaux ont suivi, dans une variété de styles, de la chanson au jazz en passant par les quatuors à cordes. Au moment où je suis entré à l’université, j’ai vraiment senti que j’étais fait pour composer, et ce malgré mon inexpérience dans le domaine. Après quelques trimestres, j’ai décidé de quitter l’université pour tenter ma chance à Hollywood, tout en continuant à composer de la musique de concert. J’ai alors étudié l’écriture en cours privé en commençant par l’analyse, le contrepoint, la direction d’orchestre, et enfin la composition.





Mon professeur durant toutes ces années a été Thomas Pasatieri, un ancien disciple de Darius Milhaud. C’est un très grand compositeur américain contemporain, auteur d’un catalogue considérable d’œuvres classiques et d’opéras, qui ne dédaigne pas approcher le cinéma. Il n’a jamais écrit une seule musique de film, il travaille uniquement pour le cinéma en tant que chef d’orchestre ou orchestrateur, ce qui prouve que ce métier n’est pas dévalorisant ici, aux Etats-Unis. Respecté et connu sur les scènes classiques, il n’a pas de problèmes d’ego en étant orchestrateur pour Hollywood. Le plus drôle est qu’il a aussi été orchestrateur pour James Horner ! (rires). Il eut une grande influence sur moi. Je l’apprécie beaucoup. Thomas Pasatieri a orchestré avec moi ou supervisé mes orchestrations dans les premiers films que j’ai fait pour Disney comme La Petite Sirène ou Le Kid et le Roi.
Après quelques années d’apprentissage sous sa direction, j’ai senti que j’étais apte à voler de mes propres ailes, c’est à dire pouvoir faire de la composition pour le film mon avenir professionnel. J’ai alors eu la possibilité de collaborer à l’écriture de partitions pour plusieurs petits épisodes de télévision et pour des films documentaires. C’est aussi à cette époque que j’ai reçu mes premières commandes pour le théâtre et le concert.



FGM : La musique de scène est-elle pour vous un moyen de garder un contact avec le public, contact que beaucoup de compositeurs de film n’ont pas ou plus la possibilité de conserver ?

JACR : Oui, bien sûr. Je pense que la musique existe avant tout pour communiquer des émotions au public, et ce dans le cadre du direct, de la performance en public. La musique est un outil de communication. Garder le contact avec le public est primordial pour moi. C’est pour cela que je continue en parallèle l’écriture d’œuvres pour le concert et d’œuvres chorales.



FGM : Parlez-nous un peu, justement, de cette musique de concert. Comment la définiriez-vous au niveau des influences ?

JACR : Les influences sont avant tout issues de compositeurs du XXme siècle, Leonard Bernstein, Aaron Copland, notamment. Mon style tente de combiner le lyrisme naturel avec les avancées de l’harmonie et du contrepoint. J’aime beaucoup utiliser les rythmes dansants pour leur irrégularité de tempo, les orchestrations colorées et les formes musicales narratives qui permettent de faire voyager l’auditeur. Bref, j’essaie d’écrire une musique variée qui satisfasse non pas seulement un simple plaisir physiologique, mais fasse appel à la personne dans son entité, à son cœur et à son esprit, à son corps et à son esprit aussi.







Musique et Christianisme


FGM : Vous avez surpris le monde musical hollywoodien en déclarant publiquement votre foi en Christ et en publiant votre expérience dans le livre Welcome All Wonders : A Composer’s Journey (Baker Books, 1997). Or pendant des siècles, l’Eglise a considéré la musique profane comme une « musique du diable » et voit encore volontiers aujourd’hui le monde du spectacle Hollywoodien comme une petite « Babylone ». Comment parvenez-vous à concilier votre vie de chrétien avec les exigences des studios ?



JACR : Je fais de mon mieux, en gardant constamment à l’esprit que je marche sur un chemin étroit au milieu d’un immense terrain miné, pour prendre une image parlante. Je ne suis cependant pas entièrement d’accord avec ce que pensent certaines personnes au sujet des chrétiens et de l’industrie hollywoodienne vue comme Babylone. S’il y avait peut-être plus de chrétiens à Hollywood, il y aurait certainement autre chose que du sexe et de la violence à l’écran, pas forcément moins, mais autre chose, une autre vision de la vie. D’un autre côté, il est vrai que j’ai souvent été amené à abandonner des projets avec lesquels je n’étais pas d’accord, car ils véhiculaient des idées qui allaient à l’encontre de l’enseignement du Christ. Bien sûr, aucun film ne reflète à 100% mon point de vue de chrétien. Chaque projet demande au fond de moi une véritable négociation morale, c’est à dire qu’à la table de montage, au niveau des premières bobines qui me sont présentées, je dois être capable de juger si le film est bon ou pas, sur le plan éthique et moral j’entends. C’est en fait ce recul intérieur-là qui est le plus difficile à avoir lorsque l’on est un artiste chrétien.



FGM : Quels sont les films sur lesquels vous avez le moins de mal à exercer ce choix ?

JACR : Les films que j’ai fait pour Disney, indéniablement. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’aime travailler pour ce studio. J’aimerai poursuivre cette collaboration à plein temps comme le font des gens comme Alan Menken. Les téléfilms produits par Disney possèdent un sens de la vie qui me plaît.







FGM : Etes-vous de ceux qui voient en la musique un moyen pour l’homme d’accéder au spirituel et à la foi, ainsi que le pensait Olivier Messiaen ?

JACR : Non. Je pense au contraire que la musique, tout comme la religion, ne sont que des moyens pour sensibiliser l’homme à l’amour de Dieu. Ils ne peuvent pas le faire croire malgré lui en quoi que ce soit. Ca, c’est une démarche individuelle, personne ne peut s’y substituer. Je ne crois pas aux possibilités subliminales ou autres de la musique dans cette démarche. L’homme reste quand même libre et conscient dans sa faculté de choix.



FGM : Pensez-vous, en tant que chrétien, que la musique doit être accessible au plus grand nombre, vu que vous écrivez souvent de la musique destinée aux masses (chansons, ballet, théâtre, film…) ?

JACR : Non, pas forcément au plus grand nombre. Je pense juste qu’elle doit pouvoir être accessible à quelqu’un, quelque part, même si ce quelqu’un ne vivra que dans le futur. Je ne compose d’ailleurs pas exclusivement de la musique à programme, de film ou de scène.



FGM : Vous êtes un des rares compositeurs connus à administrer vous même votre site internet. Que vous apporte cette activité ?

JACR : De plus en plus de temps ! (rires). Non, plus sérieusement, disons que c’était au début le moyen de mettre en ligne une sorte de CV évolutif. C’était le début du web. Je n’y croyais pas trop. Je ne croyais pas en fait qu’on puisse venir se connecter sur mon site : je ne voyais pas l’intérêt de l’internaute d’aller surfer sur le site de J.A.C. Redford. Et puis, curieusement, j’ai reçu des mails du monde entier, j’en ai reçu d’Inde, du Japon, de Russie, et par le biais de mon site, je me suis fait des amis, des correspondants qui m’ont très vite sollicité pour avoir des infos sur mes musiques. J’ai donc durant un temps offert gratuitement en ligne un CD de démonstration de mes musiques. J’en prépare actuellement le second.



LA BOITE A ARCHIVES
Entretien réalisé par Frédéric Gimello-Mesplomb
Préparation et transcription : David Hocquet
Paru in Colonne Sonore n°4 (Printemps-Eté 2002)

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