mercredi 20 juillet 2011

Bernard Herrmann (1911-1975)


HOMMAGE A BERNARD HERRMANN




Bernard Herrmann est une figure centrale de l’Histoire encore jeune de la musique de film : cet art, parfois jugé mineur et dont on ne découvre que peu à peu les complexes rouages et le langage spécifique, porte pour toujours son empreinte magistrale. À l’époque où Herrmann fait son apparition dans l’univers du 7ème Art, la réflexion théorique sur les mécanismes qui sont à l’œuvre dans une partition composée pour le cinéma n’en est qu’à ses balbutiements, et cela en dépit du fait que de nombreux chefs-d’œuvre jalonnent déjà les premières décennies du parlant. À l’époque du cinéma muet, Saint-Saëns, Prokofiev, Mortimer Wilson et d’autres avaient déjà jeté les bases d’une technique et d’une esthétique très élaborées : mais la contribution de ces artistes d’exception demeurait isolée et n’avait pas suscité l’émergence d’une génération de compositeurs “spécialisés”.
Parallèlement, l’arrivée aux États-Unis de musiciens européens tels que Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold et Franz Waxman allait offrir à Hollywood sa première lignée de musiciens de l’écran ; mais il ne faudrait pas oublier que ces brillants compositeurs étaient tous issus de la grande tradition post-romantique germanique, et qu’à ce titre ils furent des disciples de Gustav Mahler et Richard Strauss, et les héritiers spirituels de Richard Wagner. Leur langage portait donc la marque d’un héritage qui devait plus à l’esthétique et aux codes expressifs de l’opéra post-wagnérien, qu’au résultat d’une réflexion sur les spécificités de l’écriture musicale cinématographique. Ce fut néanmoins un point de départ important et qui devait marquer profondément les générations suivantes : cette esthétique du grand orchestre symphonique, du leitmotiv, et d’une harmonie fin 19ème continue aujourd’hui de prévaloir à Hollywood, par delà les modes éphémères et les dérives mercantiles auxquelles cèdent périodiquement les producteurs.



Avec Bernard Herrmann, on entre dans un troisième âge de la musique de film - le premier ayant été celui des pionniers des temps héroïques du muet, et le deuxième, celui des grands maîtres européens émigrés à Hollywood : ce troisième âge marque l’arrivée de la première génération de compositeurs nés “dans” le cinéma, et non “avant” ou “avec”. Un musicien tel que Herrmann, quoique lui-même fils d’émigrés venus de l’Ancien continent et nourri de culture classique, n’en est pas moins un enfant du cinéma : il ne part donc pas de zéro et sa réflexion peut donc se fonder sur un corpus de films et de partitions dont il va tirer des enseignements ainsi que des contre- enseignements. On pourrait résumer à deux aspects essentiels la contribution de Bernard Herrmann : tout d’abord, sur un plan esthétique, il a porté a son point de perfection une technique de composition idéalement adaptée au médium et basée sur une économie de moyens redoutablement efficace - car tel est bien l’enjeu fondamental du compositeur au cinéma : l’efficacité. Mais loin de dénigrer sa mission ou de s’estimer frustré par cette prétendue limitation, Bernard Herrmann a su tirer partie de cette contrainte structurelle pour en faire un élément constitutif de son langage musical. Là où ses prédécesseurs fournissaient de vastes partitions foisonnantes de thèmes, de développements et richement orchestrées, Herrmann se “limite” à quelques motifs de carrure restreinte et donc facilement manipulables selon les exigences du montage, il choisit avec soin et parcimonie ses couleurs instrumentales en tenant compte de la nature de la bande son (bruitages et dialogues), il écarte, enfin, le concept de développement musical au sens traditionnel du terme, convaincu que les règles académiques de composition pour le concert sont fondamentalement inadaptées au langage cinématographique. L’intuition d’Herrmann quant au langage musical dans son rapport au langage filmique est exceptionnelle : peu de compositeurs ont su appréhender avec autant de clairvoyance mais aussi d’inspiration les besoins du cinéma en matière de musique.
Par ailleurs, c’est à Herrmann que l’on doit sans doute pour la première fois et avec une force de conviction aussi sincère que salutaire, un discours militant pour la défense de son art : loin des préjugés qui continuent hélas aujourd’hui encore de déprécier le travail du compositeur au cinéma (“film music composer”), par opposition au compositeur de musique sérieuse (“art music composer”), Herrmann n’a jamais fait de différence entre son implication professionnelle à Hollywood et ses réalisations personnelles pour le concert. Artiste d’une rare intégrité intellectuelle, il nous apparaît comme un des compositeurs marquants du XXème siècle. On ne s’étonnera pas, dès lors, que ses œuvres de concert soient si proches stylistiquement de ces partitions pour le cinéma : c’est que Bernard Herrmann ne fit jamais aucune distinction de hierarchie entre ces deux champs d’application de son art.








Ma propre expérience d’interprète m’a permis d’avoir la chance rare d’approcher certaines compositions de Herrmann appartenant à chacun de ces domaines distincts. Ce fut tout d’abord en 1999 lorsque j’eus l’opportunité et le grand bonheur de diriger la partition intégrale du film Psycho (Psychose Alfred Hitchcock, 1960) lors d’un concert à Varsovie avec l’orchestre de la Camerata Academia. On donne parfois une suite de cette magistrale partition, mais je ne crois pas que personne ait jamais interprété la version complète en public, alors qu’elle le mérite entièrement. Outre le fait qu’il me tenait à cœur de faire entendre cette musique extraordinaire, je tenais absolument à l’inscrire dans la continuité du patrimoine musical moderne, c’est pourquoi l’affiche du concert réunissait, autour d’Herrmann, les noms de deux compositeurs “sérieux” : l’Allemand Paul Hindemith (1895-1963) et la Polonaise Grazyna Bacewicz (1909-1969) qui sont de la même génération qu’Herrmann. Cette expérience fut passionnante et il m’en restera toujours un souvenir très exaltant. La musique de film, au niveau auquel Herrmann l’a hissée, a toute sa place dans les concerts, sans même qu’il soit besoin de la réduire à quelque version tronquée.





L’autre versant de son catalogue d’œuvres - la musique de concert - ne m’est pas inconnu non plus puisque j’ai pris l’initiative, au sein du Quatuor Prima Vista dont je suis membre et directeur artistique, de créer en France les deux principales partitions de musique de chambre de Bernard Herrmann qui sont respectivement le Quintette pour quatuor à cordes et clarinette intitulé Souvenirs de Voyage et le Quatuor à cordes intitulé Echoes. Les partitions de ces petits trésors méconnus du répertoire chambriste moderne n’étant pas éditées, il m’a fallu me tourner vers ceux qui, aux États-Unis, gèrent l’héritage musical de Bernard Herrmann et auprès de qui il m’a été possible de m’en fournir les matériels - dont l’un est manuscrit. Jouer soi-même la musique du Maître est une récompense pour l’admirateur que je suis : on retrouve dans ces deux œuvres toute la nostalgie tendre et discrète des harmonies herrmaniennes, la gaieté de traversée d’instants d’inquiétude de ses scherzis, le caractère rhapsodique et cependant si élégamment naturel de son agogie. De surcroît, Herrmann écrit très bien pour les instruments : aucune maladresse d’écriture, et, tout au contraire, une parfaite utilisation des moyens techniques et expressifs, en l’occurrence, des cordes - ces cordes dont il a toujours su tirer toutes les sonorités dont elles sont capables, de la plus délicate des tendresses à l’âpreté la plus stridente. Le Quintette et le Quatuor mériteraient d’être davantage connus et d’entrer au programme des formations professionnelles qui cherchent à renouveler leur répertoire. Bernard Herrmann a été trop longtemps absent des encyclopédies : on doit absolument lui faire une place de choix car les quelques œuvres que je viens d’évoquer suffisent à elles seules pour l’inscrire dans l’Histoire de la musique du XXème siècle.



Baudime Jam

*altiste, musicographe et compositeur

*Baudime Jam a fondé en 1997 le Quatuor Prima Vista qui est actuellement le seul quatuor à cordes à avoir inscrit des ciné-concerts à son répertoire. Il a composé notamment des partitions pour cinq longs métrages : Le Mécano de la Générale (Buster Keaton, 1927), Nosferatu (F.W. Murnau, 1922), Le Pirate Noir (Douglas Fairbanks, 1926) Les Deux Orphelines (D.W. Griffith, 1922) et La Divine (Wu Yong).


Il est également l’auteur d’une transcription pour quatuor à cordes et clarinette de la partition composée par Dmitri Chostakovitch pour le fille La Nouvelle Babylone (Gregori Kozintzev, 1929).

lien : primavista.free.fr

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