HOMMAGE A BERNARD HERRMANN
Parallèlement, l’arrivée aux États-Unis de musiciens européens tels que Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold et Franz Waxman allait offrir à Hollywood sa première lignée de musiciens de l’écran ; mais il ne faudrait pas oublier que ces brillants compositeurs étaient tous issus de la grande tradition post-romantique germanique, et qu’à ce titre ils furent des disciples de Gustav Mahler et Richard Strauss, et les héritiers spirituels de Richard Wagner. Leur langage portait donc la marque d’un héritage qui devait plus à l’esthétique et aux codes expressifs de l’opéra post-wagnérien, qu’au résultat d’une réflexion sur les spécificités de l’écriture musicale cinématographique. Ce fut néanmoins un point de départ important et qui devait marquer profondément les générations suivantes : cette esthétique du grand orchestre symphonique, du leitmotiv, et d’une harmonie fin 19ème continue aujourd’hui de prévaloir à Hollywood, par delà les modes éphémères et les dérives mercantiles auxquelles cèdent périodiquement les producteurs.
Avec Bernard Herrmann, on entre dans un troisième âge de la musique de film - le premier ayant été celui des pionniers des temps héroïques du muet, et le deuxième, celui des grands maîtres européens émigrés à Hollywood : ce troisième âge marque l’arrivée de la première génération de compositeurs nés “dans” le cinéma, et non “avant” ou “avec”. Un musicien tel que Herrmann, quoique lui-même fils d’émigrés venus de l’Ancien continent et nourri de culture classique, n’en est pas moins un enfant du cinéma : il ne part donc pas de zéro et sa réflexion peut donc se fonder sur un corpus de films et de partitions dont il va tirer des enseignements ainsi que des contre- enseignements. On pourrait résumer à deux aspects essentiels la contribution de Bernard Herrmann : tout d’abord, sur un plan esthétique, il a porté a son point de perfection une technique de composition idéalement adaptée au médium et basée sur une économie de moyens redoutablement efficace - car tel est bien l’enjeu fondamental du compositeur au cinéma : l’efficacité. Mais loin de dénigrer sa mission ou de s’estimer frustré par cette prétendue limitation, Bernard Herrmann a su tirer partie de cette contrainte structurelle pour en faire un élément constitutif de son langage musical. Là où ses prédécesseurs fournissaient de vastes partitions foisonnantes de thèmes, de développements et richement orchestrées, Herrmann se “limite” à quelques motifs de carrure restreinte et donc facilement manipulables selon les exigences du montage, il choisit avec soin et parcimonie ses couleurs instrumentales en tenant compte de la nature de la bande son (bruitages et dialogues), il écarte, enfin, le concept de développement musical au sens traditionnel du terme, convaincu que les règles académiques de composition pour le concert sont fondamentalement inadaptées au langage cinématographique. L’intuition d’Herrmann quant au langage musical dans son rapport au langage filmique est exceptionnelle : peu de compositeurs ont su appréhender avec autant de clairvoyance mais aussi d’inspiration les besoins du cinéma en matière de musique.
Par ailleurs, c’est à Herrmann que l’on doit sans doute pour la première fois et avec une force de conviction aussi sincère que salutaire, un discours militant pour la défense de son art : loin des préjugés qui continuent hélas aujourd’hui encore de déprécier le travail du compositeur au cinéma (“film music composer”), par opposition au compositeur de musique sérieuse (“art music composer”), Herrmann n’a jamais fait de différence entre son implication professionnelle à Hollywood et ses réalisations personnelles pour le concert. Artiste d’une rare intégrité intellectuelle, il nous apparaît comme un des compositeurs marquants du XXème siècle. On ne s’étonnera pas, dès lors, que ses œuvres de concert soient si proches stylistiquement de ces partitions pour le cinéma : c’est que Bernard Herrmann ne fit jamais aucune distinction de hierarchie entre ces deux champs d’application de son art.
*Baudime Jam a fondé en 1997 le Quatuor Prima Vista qui est actuellement le seul quatuor à cordes à avoir inscrit des ciné-concerts à son répertoire. Il a composé notamment des partitions pour cinq longs métrages : Le Mécano de la Générale (Buster Keaton, 1927), Nosferatu (F.W. Murnau, 1922), Le Pirate Noir (Douglas Fairbanks, 1926) Les Deux Orphelines (D.W. Griffith, 1922) et La Divine (Wu Yong).
lien : primavista.free.fr
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