jeudi 15 septembre 2011

FSM : Chronique d'une mort annoncée ?



Ce n’est pas sans une réelle surprise et déception que j’ai appris il y a quelques jours, comme bon nombre d’autres béophiles, que la collection FSM (Film Score Monthly) s’arrêtera dans quelques mois sur une décision mûrement réfléchie de son initiateur Lukas Kendall.
Celui-ci, figure devenue incontournable ces dernières années dans le domaine de la production discographique de musiques de films, avait lancé effectivement depuis un peu plus d’une décennie – en mai 1998, pour être précis, avec comme premier titre Stagecoach/The Loner, deux scores de Jerry Goldsmith – une anthologie consacrée autant à l’âge d’or de la musique de film Hollywoodienne (le "Golden Age" 1940-1960 ) qu’à celui dit d’argent (le "Silver Age" 1960-1985).
A raison de deux titres par mois et avec une qualité de travail grandissante, Kendall s’était attelé, au fil des sorties, à nous faire (re)découvrir le patrimoine de la musique de films américaine en prenant soin à chaque fois d’en exhumer et restaurer les meilleures sources pour que le béophile-cinéphile puisse profiter de bons nombres de ces trésors dans des conditions d’écoutes optimales.











La sortie encore récente de la partition d’Ennio Morricone pour le film de Terrence Malick, Days of Heaven (Les Moissons du Ciel, 1978), en témoigne et j’ai pu me surprendre de redécouvrir totalement cette musique que je croyais si bien connaître grâce en grande partie au travail effectué par l’équipe de Kendall sur les bandes récupérées, restituant toutes les nuances de l’écriture du maestro italien.
En un peu plus de dix ans, beaucoup comme moi auront apprécié je pense l’énergie déployée par le jeune éditeur pour nous proposer un éventail très diversifié de titres signés soit de « valeurs sûres » et/ou « d’auteurs que l’on ne présente plus » comme Herrmann, Rosza, Newman, Goldsmith, Bernstein, Mancini, Schifrin, Legrand, Morricone ou encore Williams ; soit de compositeurs à la notoriété moindre mais non dénués de talents à l’instar de Bronislau Kaper, George Duning et Leigh Harline en tête.











Pour tous ceux qui spéculent aujourd’hui sur les raisons qui poussent Kendall a cessé de produire cette collection qui, reconnaissons le, était assez unique dans le panorama de l’édition musicale cinématographique - rien que déjà pour la qualité et la quantité aussi des informations qui étaient données dans le booklet de chaque volume, c’est un trop grand nombre de titres consacrés à ces auteurs moins « porteurs » qui se serait pas vendu ainsi que l’édition de coffrets peu rentables comme celui consacré à la série Star Trek, mis en musique par Ron Jones, qui, selon eux, l’auraient amené à jeter l’éponge.
Si ce dernier choix « éditorial », pourtant il est vrai peu indispensable, a certes été un échec cuisant et que certains lui reprochent de s’être tiré ainsi une balle dans le pied en sortant des albums moins « bankables » et/ou « prestigieux », je pense qu’il serait déplacer, à mon humble avis, de ne pas saluer tout de même les risques pris par Kendall sur tout un panel de titres et ce au nom, je pense, d’un réel sens et d’un vrai goût de la préservation et de la découverte, de la curiosité et du partage, et non, comme beaucoup de « détracteurs » semblent l’avancer, pour se faire avant tout plaisir.
On remarquera d’ailleurs que dans certains forums spécialisés, les internautes qui soutiennent cette toute dernière idée, sont curieusement ceux qui veulent purement et simplement ne pas entendre parler des musiciens du Golden Age (« Âge d’or ») et ne jurent alors que par la génération du Silver Age ("l’âge d’argent", d’une grande richesse il faut le reconnaître), mais aussi certainement, et c’est là où le bas blesse, que par ces années actuelles de bien pauvre création, incarnées par des musiciens sans talent (Tyler Bates, Harry Gregson-Williams, Klaus Badelt etc…). De fait, cette opinion semble plutôt représentative d’une génération plus du tout curieuse et qui ainsi, en ne faisant pas l’effort de s’intéresser à ce qu’il y avait « avant », se prive d’essayer de comprendre plus objectivement en quoi la musique de film d’aujourd’hui s’est terriblement appauvrie.





Les raisons de son retrait sont en fait vraisemblablement multiples et Kendall sur le propre site de Film Score Monthly, en a expliqué lui-même certaines qui paraissent tout à fait compréhensibles dont celle de vouloir tout simplement prendre du recul, respirer, après s’être investi dans un parcours du combattant épuisant de plusieurs années au fil desquelles les questions de « paperasse » et de droits n’ont jamais cessées d’être de plus en plus "écrasantes" et "étouffantes".
Et puis je pense que s’il n’en parle pas ouvertement, il va s’en dire que la tendance grandissante du piratage et du téléchargement illégal compulsif de produits « culturels » sur internet a fortement pesé dans la balance (Il circule que le coffret Star Trek et de nombreux titres de sa collection ont fait notamment l’objet de nombreuses copies frauduleuses).

Devant ce dernier état de fait, on peut aussi comprendre que Kendall en ait eu assez d’investir tant d’énergie – et certainement de ses deniers – dans une entreprise peu rentable, car même s’il y a fort à parier que le jeune éditeur a mené sa barque jusqu’à maintenant surtout par passion, je doute qu’il ait voulu se jeter dans cette aventure avec l’ambition d’y laisser des plumes et avoir aucun retour sur investissement. Je ne connais pas beaucoup d’entrepreneur d'ailleurs dont l’objectif ultime serait de perdre de l’argent.
Le problème aujourd’hui est qu’il y a un nombre grandissant de personnes qui voudrait que tout soit gratuit : c’est utopique, car le monde et le système dans lesquels nous vivons, il faut s’en faire une raison, fonctionnent malheureusement depuis des siècles qu'uniquement sur l’argent, c’est comme ça… Seulement, ces individus en quête de cette gratuité et qui déploient dès lors, dans le cas présent, astuces et trouvailles pour y accéder sont, ironie du sort, peut être certainement les mêmes à penser qu’ils sont volés par leur patron en déplorant de ne pas être augmentés ou rémunérés à la hauteur de leur travail.

En voyant ces mauvaises pratiques qui se multiplient, je ne peux que m’insurger sur le fait que tous ces pirates, en procédant ainsi, pensent vraisemblablement encore aujourd’hui que les personnes qui travaillent dans le secteur de la culture, de l’art et des loisirs - les chanteurs, les musiciens, les écrivains, les réalisateurs etc… peuvent bien vivre de la pluie et du beau temps !. Alors qu’au-delà de la question du droit d’auteur, légitime, il est quand même tout aussi question avant tout du droit de travailler et d’être payé de sa « production ». Ne dit-on pas « tout travail, mérite salaire » ? …(et je connais peu de personnes qui diront le contraire !).







On peut concevoir que le prix des boxs sortis par le label puisse rebuter comme celui de Miklos Rozsa contenant 15 CD, mais d’un autre côté, le prix moyen de 15 euros de la plupart des titres édités, restait tout à fait abordable et adapté je crois pour la majeure partie du public pour lequel les produits étaient destinés, à savoir celui de collectionneurs cinéphiles ou mélomanes.




Si Kendall rend son tablier en arrêtant aujourd’hui de produire lui-même et souhaite travailler pour d’autres labels, c’est je pense bien un aveu indirect de sa part de ne plus vouloir être en première ligne et faire les frais notamment d’une dérive concernant le nouveau mode d’acquisition des produits culturels. Et c’est bien dommage d’en arriver là, alors que le rêve de voir enfin des musiques de films rares ou cultes sortir dans des éditions somptueuses était enfin devenu réalité pour beaucoup de passionnés de musique et de cinéma dont je fais partie. Mais ce qui est encore plus dommageable et bien triste dans cette histoire, c’est que nous avons malheureusement un avant goût de ce vers quoi nous risquons d’aller petit à petit concernant les pratiques de consommation : à savoir, la disparition progressive de tous supports (disques, livres…) - ceux mêmes qui ont permis jusqu’à maintenant de laisser aux générations successives des traces de "civilisation" et de "culture".

Jacky Dupont

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