mercredi 6 juillet 2011

Nouvelle Vague : deux ou trois choses que nous voulons dire d'elle (I)


Ascenseur pour l'échafaud




La musique de Miles Davis pour le film de Louis Malle, Ascenseur Pour l’échafaud (1957), entre dans la liste déjà longue de BOF au moins aussi célèbres que les images qu’ellesaccompagnent. L’utilisation, dans les films noirs américains ou français, d’éléments musicaux provenant du jazz aurait pu (dû?) être antérieur à l’après-guerre. Mais la signification accordée au jazz en Europe et aux Etats-Unis diffère profondément. Cette musique est liée au banditisme et aux couches prolétariennes aux USA mais trouve un écho en Europe auprès d’une certaine intelligentsia.
En France, en 1957 et pour la première fois en Europe, deux jeunes réalisateurs commandent les musiques de leur film à des jazzmen américains: Roger Vadim pour son film Sait-on jamais à John Lewis, et Louis Malle pour Ascenseur pour l’échafaud, à Miles Davis. Les deux cinéastes sautent la case imitation/réappropriation du jazz comme c’est alors le cas aux USA, pour commander directement leurs musiques à deux maîtres reconnus du genre, alors que les américains sont encore réticents à laisser les commandes d’une B.O.F. à un vrai jazzman.





La musique d’Ascenseur pour l’échafaud est avant tout l’histoire d’un coup de cœur, celui d’un cinéaste pour un musicien qu’il aime passionnément, au point d’aller l’attendre àl’aéroport pour lui proposer de composer pour son film alors que le trompettiste vient pour un engagement à Saint-Germain (et pour aimer Juliette Greco). Mais l’idée la pluslumineuse de Malle ne se traduit pas par ce caractère d’authenticité que revêt alors la musique d’Ascenseur pour l’Echafaud, composée par un vrai musicien de jazz et collantaux images comme par miracle. En effet, le coup de maître du cinéaste est de reconnaître la capacité d’improvisation inhérente au jazz et de faire confiance au Miles Davis improvisateur (comme le souligne Mouëllic dans Jazz et Cinéma p.83), alors que Vadim commande une partition écrite à Lewis.





Quand Miles Davis entre en studio le 4 décembre 1957 pour enregistrer la musique d’ Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle lui demande d’improviser directement devant les rushes de son film avec ses musiciens (groupe formé à l’ocacsion des récents engagements parisiens de Davis et comprenant rien moins que Barney Wilen, René Urtreger, Pierre Michelot et Kenny Clarke).




Les implications de ce mode de travail, tant pour la musique du trompettiste que pour ses répercutions sur l’avenir du jazz sont très importantes. Pour le première fois dans l’histoire du jazz, les compositions ne comportent pas de thèmes mélodiques écrits ou préparés oralement avec les musiciens et Miles Davis se contente de venir au studio avec des canevas harmoniques. L’improvisation mélodique est donc totale, en réaction immédiate aux
images projetées. L’athématisme des compositions du trompettiste préfigure tant le bouleversement du free-jazz (qui arrive trois ans plus tard avec Ornette Coleman) que le bouleversement opéré par Miles Davis à la fin des années soixante avec «In a Silent Way » et « Bitches Brew ». Mais cette première esquisse de jazz « libre » n’est pas sans attache stylistique avec le jazz de l ‘époque. La fuite de la jeune fleuriste et son amant dans la voiture de Julien inspire à Miles Davis une improvisation issue du style be-bop, les errances de Jeanne Moreau sur les Champs-Elysées étant plutôt commentées dans le style cool.
Louis Malle se fait l’écho de cette non-caractérisation standard des situations due à l’absence de thématiques musicales. Par exemple, lors de l’interrogatoire de Julien aucommissariat, le cinéaste filme un poste de police, réduit à la simple présence des inspecteurs, sur un fond noir. A travers cette absence de décor, seule l’immédiateté de lasituation compte, comme seule compte l’immédiateté de l’improvisation musicale face aux images. La description objective d’un action est remplacée par sa simple évocation.Louis Malle reconnaîtra par la suite que la musique de Miles Davis fit décoller les images de son film qui est peut-être resté célèbre grâce à cette B.O.F.



Fabrice Coudreau

LA BOITE A ARCHIVES
Texte paru in Colonne Sonore n°3 (Printemps –Eté 2001)

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