vendredi 22 juillet 2011

Bernard Herrmann, cet inconnu



HOMMAGE A BERNARD HERRMANN



Ce texte est le fruit de quelques réflexions quant à l’apport esthétique à la musique de cinéma du compositeur Bernard Herrmann (1911-1975), connu pour ses partitions écrites pour le cinéma, la radio et la télévision.

L’arbre des partitions qui cache la forêt Au risque de commencer ce texte par une considération polémique, à tort ou à raison, je pense que l’on a trop souvent associé les musiques de Bernard Herrmann aux succès des films pour lesquelles elles avaient été composées. C’est un fait. Ainsi, les neuf partitions composées pour les films d’Hitchcock n’ont-elles pas masqué le reste de la production de ce compositeur prolifique ? Qui se souvient aujourd’hui du thème composé pour le long-métrage de William Dieterle All That Money Can Buy / The Devil and Daniel Webster (Tous les biens de la terre, 1941) pour lequel Bernard Herrmann reçut son premier et unique Oscar.




De même, tout le monde s’accordera pour reconnaître que la veine Hitchcockienne des “films noirs” a également éclipsé les autres partitions composées par Herrmann pour des genres sensiblement différents comme le western - le pilote de la série TV Have Gun, Will Travel (1957-1963) ou les trois épisodes de la série culte des années 1955-75 Gunsmoke ("Harriet" Gene Fowler Jr - 1961, "Kitty Shot" Andrew V. McLaglen - 1961, "The Tall Trapper" - 1961). Il faut dire que les éditeurs, probablement guidés par des considérations marchandes, n’ont jamais été très pressés de faire découvrir tout ce pan moins connu de la production du compositeur de Psycho (Psychose Alfred Hitchcock, 1960). Il faut, par exemple, attendre l’année 2004 pour que le label belge Prometheus édite un album consacré aux “années CBS”, album entièrement consacré aux musiques de western d’Herrmann composées entre 1956 et 1961, en pleine période hitchcockienne. La suite symphonique présente sur cet enregistrement, Western Music, avait pourtant été enregistrée à Londres en 1957 par le compositeur lui-même en vue d’un disque qui ne verra jamais le jour…



L’interview qu’il donne dans “Film Comment Magazine”, en septembre 1976, nous révèle qu’à la fin de sa vie, Herrmann désespérait de voir ses musiques moins connues enfin enregistrées. Il s’épuisait et investissait son propre argent dans des enregistrements médiocres qui n’avaient plus la même verve qu’autrefois. En témoigne les sessions “historiques” avec le London Philharmonic Orchestra, entre 1969 et 1975, qui donnèrent lieu, en 1989, à un coffret de 4 CD produit par Robert Towson pour la collection “Masters film music series”, label de Varèse Sarabande. La prise de son est excellente, mais l’orchestre d’ordinaire brillant, est considérablement poussif et l’on souffre en écoutant un Bernard Herrmann fatigué diriger ses partitions d’antan.



Un chef d’orchestre contemporain méconnu L’autre projet qui lui tenait à cœur était de faire découvrir les compositeurs de musique de son temps ! On oublie qu’il fut le premier à faire enregistrer le Concerto pour violon et orchestre de Robert Russell Bennett en 1946 par le Columbia Symphony, avec en soliste le célèbre violoniste américain Louis Kaufman (1905-1994). La même année, et toujours avec ce dernier, Herrmann a créé en première mondiale la pièce Aria and Toccata in Swing de Robert Mc Bride et The Blues de William Grant Still. Le 14 avril 1956, ce sera au tour du Concerto pour violon n° 1 de Walter Piston (1894-1976) d’être joué par Herrmann et un mois plus tard, le 19 mai, celui-ci, non satisfait de la prise de son du premier enregistrement réalisé dix ans auparavant, signera une nouvelle version du concerto de Russell Bennett avec le London Symphony, en stéréo.




Autre grand chantier qui occupa les dernières années de la vie du compositeur : l’enregistrement de musiques tombées dans l’oubli. Les 27 et 29 mai 1970, Herrmann a exhumé des oubliettes le compositeur Joachim Raff (1822-1882) en enregistrant Léonore, sa Symphonie n° 5. Ce dernier musicien, qui avait, de son vivant, été considéré comme l’égal de Wagner ou de Brahms, avait sombré dans l’anonymat le plus misérable après sa mort. Pourtant, il fut un compositeur très fécond. On le retrouvera secrétaire particulier de Liszt qui l'encouragera à poursuivre la composition, directeur du Conservatoire de Francfort et compositeur de onze symphonies à programme. Leonore, sa cinquième (1873) pourrait s’apparenter au style littéraire gothique anglais du milieu du XIXème siècle, celui qui a vu l’éclosion d’un Lovecraft, d’un Scott, ou de romans tels que “Frankenstein” : chevauchées cauchemardesques alternent avec grands thèmes lyriques, chorals annonçant la fin du monde et autres considérations orchestrales dans la veine romantique. De quoi enthousiasmer Herrmann qui a enregistré un album pour Unikorn en 1970 puis pour le label Nonesuch en 1973.





Toujours en 1970, pour Decca, Herrmann procèdera à l’enregistrement des Planets de Holst, compositeur anglais qui ne connaissait alors pas la renommée qu’on lui confère aujourd’hui, puis dirigera le London Philharmonic à Kingsway Hall, le 21 décembre de la même année, pour un album consacré aux impressionnistes (Satie). L’année suivante, les 16 et 18 août, 1971, à West Hampstead, Herrmann mettra à l’honneur le compositeur français Darius Milhaud (La création du monde), Kurt Weil et Stravinsky ; en avril 1974, il enregistrera le Concerto pour piano n° 1 de son contemporain anglais Cyril Scott (1879-1970). Enfin, quelques semaines avant sa disparition, en 1975, Herrmann a dirigé pour Decca les partitions de six autres compositeurs britanniques ayant travaillé pour l’écran : Constant Lambert (1905-1951), Arnold Bax (1883-1953), Arthur Benjamin (1893-1960), William Walton (1902-1983), Ralph Vaughan Williams (1872–1958) et Arthur Bliss (1891-1975).




Voilà pourquoi je suis toujours resté un peu circonspect en lisant ces dernières années d’innombrables articles écrits sur Bernard Herrmann brossant généralement le portrait d’un personnage au caractère irascible, isolé dans une sorte de tour d’ivoire, sans contacts avec son entourage ni avec les autres musiques, et produisant des partitions issues de son seul génie créateur. Bref, le portrait d’un personnage résolument romantique qui meurt seul - à Noël qui plus est - oublié de tous. Il n’y aurait finalement que Scorsese pour lui rendre hommage dans le générique de Taxi Driver (1975). Je n’ai jamais cru à cette image d’Épinal qui débute lorsque le rideau se ferme, avec le fameux générique de ce film. Bernard Herrmann a toujours été pour moi un compositeur de son temps, inspiré par les autres compositeurs de son temps (Saint-Saëns, Scott, Benjamin, Bennett et d’autres), ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à son talent. Savoir cela me permet d’encore mieux apprécier l’ensemble de son œuvre, y compris celle extra-cinématographique qui n’en fut pas moins féconde et nourrie de références classiques. La sacralisation abusive dont Herrmann est aujourd’hui l’objet de la part des jeunes générations d’amateur de musique de film fait pourtant taire ce type de considération, et c’est bien dommage. Rappeler simplement que Bernard Herrmann a été un chef actif, au contact permanent d’autres musiques et d’autres compositeurs est presque considéré dans certains cercles comme une forme de dépréciation de son œuvre !




L’apport de Bernard Herrmann Je dirais, pour conclure, que le grand paradoxe dont souffre la mémoire de Bernard Herrmann est cette surmédiatisation faite d’une poignée de partitions - qui sont parfois loin d’être les meilleures - , ainsi que de quelques traits de caractère propres au personnage. Les témoignages de l’orchestrateur Christopher Palmer, qui travailla avec lui dans les années 70, ou de son biographe Steven C. Smith nous révèlent plutôt un homme exigeant dans le travail, mais toujours ouvert aux autres et somme toute assez humain. Aussi, force est de constater que l’on connaît finalement assez mal son répertoire (y compris ses musiques de film), et encore moins sa vie.



Le second paradoxe, c’est certainement son travail pour Hitchcock. Celui-ci et Herrmann se sont apportés mutuellement, ce que nul autre n’aurait pu faire. Sans Herrmann, les films d’Hitchcock n’auraient peut être pas eu le succès qu’ils ont rencontré, en témoignent les autres long-métrages de la “période américaine” du cinéaste anglais, aux partitions très quelconques, et aux succès public très moyens aussi. De même, sans Hitchcock, pour quels films se souviendrait-on aujourd’hui d’Herrmann ? Pour ses partitions des films de De Palma ou de Welles ? Pour ses westerns ou ses séries TV de science-fiction ? Rien n’est moins sûr. C’est ce qui explique aussi, sans doute, la sorte de relation schizophrénique que les deux créateurs entretenaient. Dans un entretien de 2003, le réalisateur Larry Cohen, qui fit travailler Herrmann sur son film It's Alive (Le Monstre est vivant, 1974), témoigne : « J’ai fréquenté Hitchcock pendant pas mal d’années, il me répétait sans cesse que la musique de ses films éclipsait ses œuvres elle-même, et ça le rendait fou ! » (1).


Aussi, si apport de Bernard Herrmann à la musique de film il y a, je ne pense pas que ce soit finalement sur le plan de la forme musicale, contrairement à d’autrescompositeurs comme Quincy Jones, Jerry Goldsmith (2), Leonard Rosenman ou Elmer Bernstein, qui se sont montrés, au cours de leur carrière, beaucoup plusinnovants, tant sur des films de série que sur de grosses productions cinématographiques. Ce n’est pas non plus, quoi qu’on en dise, au niveau de la relation image/son. La mise en musique des films composés par Herrmann, notamment pour les films d’Hitchcock - The Birds (Les Oiseaux, 1963) mis à part-, est somme toute assez classique. En effet, les usages de la musique sont traditionnels et correspondent à des temporalités liées à des usages bien balisés (suspense, épouvante, peur, poursuite, drame, romance). En revanche, ce qui est exceptionnel, dans les films du maître du suspense mis en musique par Herrmann, c’est la présence de deux visions concomitantes quant à la fonction que doit avoir la partition musicale par rapport à l’action. Une véritable symbiose, respectée au montage et au mixage, que l’on retrouve avec d’autres couples réalisateur/compositeur célèbres.

Aussi, je pense plutôt que l’apport de Bernard Herrmann se situe au niveau du degré d’exigence qu’il s’infligeait et qu’il a infligé à ceux qui travaillaient avec lui pour un film. Cette exigence était telle qu’elle a déteint sur l’ensemble de la profession, faisant de lui une sorte de “mentor” pour les compositeurs de la génération suivante. Lorsqu’il dit “Il n'existe pas de compositeur de musique de films ; Il n'existe que des compositeurs” cela traduit bien cette exigence en terme de métier : ne rien sacrifier à l’image ; faire de la bonne musique quoi qu’il en soit, et quel que soit le prix payé par les studios. Rare sont ceux qui tenaient ce discours là, surtout durant la période de la crise des maisons de productions, après 1960-1965, durant laquelle on investissait beaucoup moins dans la musique de film, préférant souvent des disques ou des musiques préexistantes.
En voulant finalement mettre sur le même pied musique “de film” et musique “pure”, Herrmann a finalement contribué a revaloriser le métier de compositeur de film. Il acontribué à redonner ses lettres de noblesses aux partitions écrites pour l’écran. Voilà un apport indéniable, à mettre à son actif qui vaut bien toutes les musiques de film. Merci Bernard Herrmann !

Une partition préférée Il y en a plusieurs. Peut-être pour commencer Vertigo (Sueurs froides Alfred Hitchcock, 1958) et la nostalgie un peu surannée de son thème envoûtant. Mais aussi les partitions écrites durant “l’odyssée fantastique” du compositeur pour The Day The Earth Stood Still (Le Jour où la Terre s’arrêta Robert Wise, 1951), Journey to The Center of The Earth (Voyage au Centre de la Terre Henry Levin, 1959) ou The Twilight Zone (La Quatrième Dimension, 1959-1964).



De cette série, je retiendrai surtout le travail du compositeur pour l’épisode “Little Girl Lost” (“Petite fille perdue” Paul Stewart, 1962) : l’orchestration pour petite formation fonctionne parfaitement bien au regard de l’économie de moyens avec laquelle cette production télévisuelle a été tournée. À l’écran, la musique n’écrase pas l’image. Pour Rod Serling, concepteur de la série, La Quatrième Dimension ne devait pas être racoleuse. Pas de robots - Lost in Space (Perdus dans l’Espace, 1965-1968), de sous- marins - Voyage to The Bottom of The Sea (Voyage au fond des mers, 1964-1968), de monstres - The Outer Limits (Au-delà du Réel, 1963-1965) ou d'espions ingénieux - The Man from U.N.C.L.E. (Des Agents très spéciaux, 1964-1968). La Quatrième Dimension devait stimuler l'imagination et la musique d’Herrmann, toute en rétention, y contribue considérablement. La tension est parfois très dense à cause du non-dit, du non-su, du non-expliqué et il suffit de quelques notes, d’un arpège de harpe, d’un glissando aux cordes, pour parvenir à faire basculer l’atmosphère d’une séquence dans une toute autre… dimension, justement ! Un coup de maître.



(1) Propos recueillis par Didier Allouch et traduits par Fathi Beddiar. “MadMovies” n° 150.



Frédéric Gimello-Mesplomb




Maître de conférences
Université de Metz
Filière Etudes cinématographiques et audiovisuelles

1 commentaire:

Starlight a dit…

Il est bien certain (comme vous le précisez si justement), qu'un compositeur est avant tout un musicien... et sauf dans le cas bien ciblé de "dessins animés" de style "mangas" où quelques coups de "cymbales" suffisent à souligner l'action, l'apport musical senti et réfléchi est un atout majeur à la dramaturgie du film !...
Le problème (pour l'ego uniquement) c'est que nous vivons dans une relation de "couple" où le Réalisateur estime que son "enfant" (le film) se suffit à lui-même... Quant au compositeur : il s'approprie progressivement la paternité puisqu'il "colle" à chaque instant à l'action !
Le couple Hitchcock-Herrmann a fonctionné longtemps pour le plus grand bonheur de tous... Le caractère "entier" des deux personnages a fini par une séparation inéluctable !...
Si je prends le fameux film "Le rideau déchiré" où Sir Alfred s'est passé de la partition d'Hermmann, cela a été une erreur stratégique...(j'ai essayé de coller cette partition sur le film à la place de la musique mièvre d'Addison... c'est autre-chose !
Maintenant on pourra dire aussi que B. Hermmann faisait de "l'Hermmann" et les effets de surprises sonores n'en étaient plus... Etait-il arrivé au sommet de sa "courbe de popularité" ?... peut-être !... Il n'en reste pas moins vrai qu'Herrmann était et restera un vrai musicien qui se suffisait à lui-même... et de surcroît un très bon chef d'orchestre. Il a ouvert la voie (il n'était pas le seul) à toute une série de compositeurs privilégiant la ligne orchestrale à toute autre considération.