samedi 27 août 2011

Greco Casadesus : Orchestres, ordinateurs et musique de film





Rapprocher un compositeur et un réalisateur « Le travail du réalisateur met en œuvre beaucoup de métiers, de tendances, d’émotions et sa tâche première est donc de les réunir en un faisceau cohérent pour aboutir en fin de compte à une œuvre dont on ne s’aperçoit plus qu’elle a été l’objet d’une multiplicité d’interactions. C’est l’une des raisons pour laquelle un réalisateur n’a pas, en général, envie de changer une équipe qui marche, ce qui est parfaitement compréhensible, mais qui masque souvent les possibilités de renouvellement ».
« Le compositeur n’a pas, une fois choisi, une position toujours facile car il doit prendre d’une manière ou d’une autre à sa charge les craintes du réalisateur qui s’expriment selon deux pôles opposés : la musique va être trop forte pour mon film et va l’étouffer ; la musique va être inadaptée ou inconsistante et va le dénaturer. Le compositeur doit donc se mettre à l’écoute des besoins du film et des désirs du réalisateur afin d’aboutir à une bande-son homogène et c’est sans doute cet aspect que certains considéraient comme de la soumission qui a fait que la musique de film a été méprisée durant de longues années. »





« Certains réalisateurs ne souhaitent pas écouter les nouveaux compositeurs qu’ils jugent dangereux car sans expérience ; ils n’ont jamais le temps et de toute façon ils ont reconduit la précédente équipe de tournage. Il est donc extrêmement difficile et compliqué de les toucher et, hormis les festivals de musique de film (tel que celui de Lunéville) et les possibilités fortuites de se rencontrer, d’avoir un échange complètement intuitif voire affectif avec un réalisateur, il n’y a que très peu de solutions. En France, les compositeurs ne sont pas représentés ; il n’y a pas d’agents, ni d’imprésarios à une ou deux exceptions près : ils sont donc isolés ».
« En musique, la sémantique n’existe pas. « Je voudrai plus fort » ou « Tu vois, là, c’est bleu, je voudrai une musique bleue »… Quand un réalisateur a une relation osmotique avec un compositeur, ils se parlent peu. Et là, on arrive à des choses tout à fait remarquables. C’est aussi pour cela que les nouveaux compositeurs sont mal vus, c’est difficile pour eux de s’imposer. Il ne leur reste que quelques solutions : obtenir un César et si possible un Oscar dans la même année ou faire un film qui fait en France entre 5 et 8 millions d’entrées et là, tout de suite, cela va beaucoup mieux ! Le reste est du cas par cas ».





La page blanche « La première chose que doit faire un compositeur, avant d’écrire la moindre note, est de savoir pourquoi il va écrire la musique de telle ou telle séquence, considérant le propos du film mais aussi le désir du réalisateur. Il est excessivement important, pour une scène où il peut y avoir plusieurs possibilités d’évoquer le rôle pris par la musique, de savoir comment on le fait et pourquoi on le fait (…). Une fois que cette musique est faite, elle a une autre vocation : elle doit vivre avec son âme. Elle a un voyage, elle raconte une histoire, part de a et va jusqu’à x, y, ou z, comme un film. Sans le temps, la musique n’existe pas ni le film, à l’inverse d’un tableau qui peut lui être totalement intemporel ».
« On sait très bien aujourd’hui que les musiques de film les plus réussies sont celles qui ne s’entendent pas, ou plus exactement qui donnent une impression, qui fournissent une dimension supplémentaire et que, quelque part, le public ne distingue pas. Si vous prenez un certain nombre de films et que vous en retirez la musique, ils n’ont plus aucune saveur ; mais une fois qu’elle est dans un film, on ne la distingue pas. Les professionnels oui, mais le public lambda, théoriquement, ne devrait pas avoir la possibilité de la distinguer. Le message que doit délivrer une musique de film n’est pas au sens strict un message de musique, elle parle avant tout à l’inconscient. J’exclus bien sûr de tout cela les grands passages où la musique a l’espace de s’exprimer, les grands thèmes à la Morricone : on en a besoin aussi, mais c’est totalement différent ».




Le souci budgétaire « En France, les prises de risque sur la musique sont assez rares. On doit donc se débrouiller pour mettre sur le budget global du producteur un budget musique, mais souvent celui-ci est entamé tout de suite à la fin du film parce qu’on a dérapé sur le tournage, sur le montage… Et de toute façon on considère que les compositeurs obtiennent de très bons droits d’auteur, qu’ils doivent donc être royalement payés par l’intermédiaire de la SACEM et ainsi qu’ils n’ont pas besoin d’un budget ! On arrive alors à des situations complètement impossibles car, pour fournir près de 30 à 40 minutes de musique, avec un orchestre, des machines ou les deux à la fois, et travailler dans le souci d’une relation efficace entre la musique et l’image, il y a forcément des éléments incompréhensibles… Installer son home studio dans sa salle de bain, ce qui va en sortir va être d’une qualité douteuse ! Cela paraît évident : on ne peut pas faire avec un petit budget ce que permettrait des moyens conséquents, un vrai studio et du bon matériel. Il y a bien sûr toujours des gens très habiles, géniaux même, qui arrivent à faire beaucoup avec presque rien mais, en règle générale, il est préférable de se mettre d’accord avec le producteur pour dégager un budget. Il faut savoir que les droits d’auteur ne sont le plus souvent perçus qu’au moment de la diffusion télévisée, entre dix mois et un an après la diffusion du film : à moins de un ou deux millions d’entrées, les droits ne sont pas très conséquents et c’est la diffusion télévisée qui prend le relais. »
« Il est clair que la rémunération des compositeurs n’est pas du tout proportionnelle au travail effectué. De plus, elle reste souvent liée aux produits dérivés, les disques notamment, plus qu’à la musique elle-même. Le compositeur touche de l’ordre de 22 centimes en moyennes par entrées, et un film qui fait en France plus d’un million d’entrées, reste encore exceptionnel. Le plus souvent, c’est quelques milliers d’entrées… ».
« On est en France dans un contexte assez difficile où, dans la production, l’idée d’une musique n’est pas une chose totalement acquise. Un budget musique qui atteint 2 à 3% du budget total d’un film est très rare. Pourtant il nous est permis de penser que la musique joue dans l’impact du film un rôle supérieur à 2 où 3 %… »






L’outil informatique « L’informatique peut aider à atténuer l’anxiété d’un réalisateur. A une époque, on jouait au piano et aujourd’hui, on dispose grâce aux ordinateurs et aux synthétiseurs de choses extraordinaires, de la possibilité par exemple de faire des maquettes avec une simulation sur les instruments très proche du réel. C’est d’une certaine manière salvateur : tout le monde n’est pas obligé d’utiliser cette méthode bien sûr, mais il est extrêmement pratique de pouvoir définir un contour, même s’il est flou, de ce que va être la musique par rapport à l’image. Avec une bonne maquette, un réalisateur comprend très bien là où on veut en venir, cela permet d’avoir un dialogue très constructif ».
« Ce que l’on cherche également, ce sont d’autres couleurs à mélanger, pour tendre vers une musique métissée qui aujourd’hui semble être une nouvelle possibilité d’expression à une époque où, à cheval sur deux siècles, on utilise des conventions d’écriture immuables. Dans cette approche, la musique de film, et peut-être à un certain niveau le milieu de la chanson ou de la variété, est une ouverture sur de nouveaux univers ».





« L’outil informatique permet ainsi d’intégrer et de ramener chez soi des éléments acoustiques, enregistrés dans les studios, et de les manipuler par rapport à d’autres éléments qui sont eux totalement pilotés par le système. Cela peut permettre de trouver de nouvelles couleurs, de nouvelles situations, de nouveaux ressorts, ce qui est loin d’être négligeable. De plus, pour de jeunes compositeurs, c’est aussi un moyen de se convaincre qu’ils peuvent faire des choses : lorsque l’on arrive avec de vraies intentions de travailler une matière artistique et que l’on peut se convaincre grâce à des outils extrêmement intuitifs que l’on a des idées à fixer, c’est tout de même plus facile qu’il y a 40 ou 50 ans… D’un autre côté, il n’y a jamais eu autant de concurrence !. »



« L’informatique musicale est l’une des plus vieilles informatiques multimédia. Le protocole MIDI est arrivé au début des années 80 : c’est un outil fabuleux de communication avec le réalisateur mais également une démystification et en même temps, du fait de nombreuses banques de simulation, un abus de pouvoir… Il existe dans le commerce des CD-ROM de banques de données qui sont non plus des sons isolés que l’on joue séparément mais des phrases entières qui peuvent être associées de manière habile pour engendrer des morceaux musicaux complètement cohérents et parfaitement calés sur l’image. Ce n’est pas à proprement parler de la musique mais simplement des montages sonores. Certaines personnes les utilisent de manière quelque peu abusive avec des résultats tout à fait probants et ils ont en un sens démystifié ce qu’est la vraie création musicale : le prêt-à-porter de la musique de film en quelque sorte ! C’est dangereux dans une certaine mesure car c’est un abus largement conforté par les fabricants de synthétiseurs et d’informatique : il n’y a rien de plus excitant pour un industriel que de faire croire aux gens qu’ils sont des créateurs pour leur vendre des trucs qu’ils ne sauront pas forcément bien utiliser mais qui les subjugueront totalement du point de vue technique… »





Le mixage et le montage musique « Les compositeurs souffrent… On livre très souvent des versions musicales très fouillées au niveau de l’interprétation, de la qualité technique et artistique et on s’aperçoit qu’en fin de compte, au mixage, le bruitage est tellement important qu’il masque toutes les subtilités de la musique ! Que reste-t-il alors ? L’intention, la manière dont le rythme ou la mélodie va entraîner la séquence vers quelque chose qui ne pourrait pas exister autrement… Il y a une autre raison pour laquelle on souffre également pas mal : les films destinés au cinéma sont tournés en 24 images par seconde ; or quand ils sont diffusés à la télévision, c’est du 25 images par seconde ! La musique tourne alors plus vite et environ un demi-ton plus haut et elle n’a plus tout à fit le même caractère ».



L’orchestration « Le façonnage des couleurs orchestrales est une chose tout à fait fondamentale. Chaque compositeur a une relation différente avec l’image bien sûr, mais il y a plein de moments dans un film où il n’y a pas de thème car si on en met un, on accapare quelque chose à la situation cinématographique… Le plus souvent il s’agit d’une ambiance composée de choses assez peu définies mais suffisamment tout de même pour que la musique ait une âme, une vie. Orchestrer soi-même est une expérience extrêmement enrichissante. »



Les délais « Il faut bien gérer son temps et l’informatique aide terriblement à cela. C’est une forme de logistique. On n’accepte pas d’un compositeur qu’il livre sa musique une semaine en retard. Certains peuvent peut-être se le permettre s’ils sont de grandes stars mais on demande toujours au compositeur de respecter certains objectifs, certains impondérables car il arrive toujours coincé entre la fin du montage et le début du mixage, à un moment où il y a toujours le moins de temps possible ! D’ailleurs, le compositeur est très souvent considéré comme un technicien et pas comme un artiste, on ne lui propose pas de dépasser le budget, de dépasser le planning, et il y a beaucoup de choses à gérer dans la musique de film (…). Une fois la partition achevée, on doit sortir chacune des parties destinées aux différents instrumentistes et l’informatique sait très bien faire cela, au point que le métier de copiste, qui était encore très ouvert et bien alimenté il y a quelques années, disparaît peu à peu, même si certains se sont recyclés dans l’informatique musicale pour ne pas tout perdre. »



La musique temporaire (« Temps track ») « Cela offre un énorme avantage, c’est que l’on arrive à voir tout de suite ce qui va permettre à une séquence de fonctionner au mieux par rapport au genre de musique que l’on veut y mettre. Cela a un énorme désavantage, c’est que la musique choisie est dans l’oreille de tout le monde et qu’ensuite on demande au compositeur de faire la même chose, on veut « çà ». Or ce n’est pas « çà » puisqu’il faut faire une musique originale ! Ce sera donc forcément autre chose ! Il faudra donc soit sublimer cette musique temporaire ce qui, si elle est excellente, est un vrai casse-tête, soit déraper sur d’autres registres, mais cela peut être très bien… C’est toujours un outil de communication que de se référer à des choses préexistantes, mais c’est aussi n risque d’inhibition lorsqu’on veut aller dans une direction et qu’on s’aperçoit que l’on a plus forcément le champ nécessaire pour le faire. La musique de film est parfois beaucoup plus une question de persuasion qu’autre chose : quelque part, on va convaincre une équipe que c’est telle musique qu’il faut ».





L’originalité en question « Les idées ne sont plus strictement musicales. Lorsque Kubrick met du Strauss dans 2001, l’Odyssée de l’espace, c’est une idée totalement provocatrice. Dans la musique de film, ce n’est pas forcément la musique qui doit être originale mais plutôt son traitement par rapport à l’image et la manière avec laquelle elle va la côtoyer. Tout peut se répéter ou se renouveler bien sûr, mais c’est maintenant beaucoup plus dans le mélange des univers que l’avenir reste prometteur. »

Gréco Casadesus
Compositeur


Propos recueillis et transcrits par Florent Groult
D’après la conférence qui s’est tenue en la Médiathèque de l’Orangerie de Lunéville
Le Jeudi 15 février 2001

LA BOITE A ARCHIVES
Texte paru in Colonne Sonore n°3 (Printemps-Eté 2001)

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