C’est au terme de cette séance que le compositeur se prêtera, malgré la fatigue mais comme toujours armé d’un sourire radieux, au jeu des questions-réponses.
C.S. : Par rapport à vos partitions pour le cinéma, est-ce vraiment pour vous un travail différent de composer un poème symphonique ?
M.K. : Je pense que oui. Je me suis attelé à cette partition pendant près de trois ans. Lorsque je travaille pour le cinéma, même si c’est deux heures de musique qui me sont demandées, je dois le faire en quelques semaines, parfois même en quelques jours selon les cas.
C.S. : Mais cela fait-il appel au même type d’inspiration, ou cela requiert-il de nouvelles techniques ?
M.K. : Non, je ne pense pas que cela requiert une nouvelle technique. Je devais trouver une idée pour ce poème, raconter une histoire. Je n’envisage pas une musique par son aspect théorique, ce doit être avant tout un langage émotionnel. J’avais besoin d’être sûr de raconter une histoire qui illustrait ma propre vision du Millénaire, mais je ne voulais pas pour cela faire quelque chose de particulièrement difficile sur le plan de la technique musicale. Je n’avais pas besoin de prouver quoi que ce soit ! Je voulais seulement me convaincre que je pouvais sérieusement m’investir dans une importante œuvre de concert. C’est l’opportunité, et le cadeau, que m’a offert Leonard Slatkin.
C’était une commission pour célébrer le Millénaire et lorsque j’ai demandé quel type de musique ils souhaitaient, ils m’ont répondu : « Tu es quelqu’un de flexible, tu as fait du rock, des chansons, de la musique de film, des ballets…Donne-nous une rétrospective d’un siècle de musique américaine ! »… Je pouvais déjà entendre du John Philip Sousa (1) et des gros symboles du même genre ! J’ai dit : « Non, non… c’est le Millénaire et il y a d’importantes choses à dire sur 1000 ans de l’histoire d’un pays ». Il faut parler des indiens qui ont fait cette terre avant nous, qui en ont pris soin et qui peuvent encore nous apprendre énormément, sur ce qu’ils pensaient, sur ce qu’ils ont créé. Ils aimaient les formes, la beauté, l’organisation et l’imagination et je voulais que la symphonie illustre cela car la musique elle-aussi parle de formes, de beauté et d’imagination. Nous ne sommes pas différents aujourd’hui des hommes qui vivaient il y a un millier d’années et si nous faisons attention, dans un millier d’années, quand il sera temps pour nous de quitter la planète et tenter l’aventure des étoiles, il nous faudra apporter ce message, quid ira qu’une humanité unique nous a légué un langage émotionnel à partager avec l’univers entier. C’était une idée tout à fait passionnante à explorer pour cette symphonie et cela m’a demandé trois ans !
M.K. : Parce qu’à l’origine ma tache n’impliquait pas de diriger mais uniquement d’écrire, et elle venait de Leonard Slatkin qui est un ami et un excellent chef d’orchestre. Je lui ai écrit quelque chose que, je l’espérais, je pourrai diriger moi-même. Bien sûr, c’était très difficile pour moi de m’asseoir dans le public et de voir un autre chef d’orchestre diriger ma musique, mais cela a également été une expérience enrichissante.
M.K. : La règle que je respecte vient de l’un de mes grands amis qui a été pour moi un grand professeur, un mentor. C’était Mano Hadjidakis (2), un homme formidable. Un jour il a regardé l’une de mes partitions, destinée à un ballet, et m’a dit : « Oh ! tu as écrit cela au piano ! ». Je me demandais comment il pouvait le savoir et il m’a répondu : « Ne compose jamais au piano. Parce que sinon, tu vas devenir prisonnier de ta propre technique, tu n’écriras que ce que tu peux jouer ». Et moi je joue très mal ! Et, vraiment, la meilleure manière d’écrire de la musique, c’est d’essayer de l’entendre, de « penser » la musique. Et après je peux aller au piano et me dire : « Est-ce cela que je veux entendre ? ». Et si alors vous voulez changer quelque chose, vous l ‘écrivez, sur papier. Aujourd’hui, je travaille sur papier et sur ordinateur. Je joue encore au piano mais je n’ai plus la même technique qu’avant et j’essaye de ne pas m ‘emprisonner.
M.K. : J’ai fait une musique pour cette séquence bien sûr, mais vers la fin de film ils ont décidé que cela ne leur convenait pas. J’ai dit : « Ok, prenez quelqu’un d’autre, je ne veux pas faire ce que vous voulez ! » (La production fera appel à J. Peter Robinson, NDLR). Et j’ai entendu ce qu’ils ont fait, ce n’était pas si mal. J’ai été très amusé, par la suite , d’entendre certaines personnes me dire : « Oh, j’adore ce premier morceau ! »(rires). J’ai aimé en tout cas la manière avec laquelle la musique fonctionne vis à vis des relations entre le père et le fils, le fils sauvant le père dans le passé…
C.S. : Après Metallica, y a-t-il aujourd’hui d’autres musiciens avec lesquels vous souhaitez travailler ?
M.K. : J’adore travailler avec des musiciens du rock… Vous savez, je crois que la musique rock est la véritable musique classique que nous pouvons faire aujourd’hui, en la joignant à l’orchestre, et qui peut donner les mêmes sortes d’émotions. Je n’aime pas spécialement le rap ni la techno mais j’aime les artistes quels qu’ils soient. Je n’aime pas Eminem mais je reconnais que ce doit être bon, c’est juste que ce n’est pas pour moi !
Oui, il y a un artiste avec lequel j’aimerai travailler, et j’espère que je ferai à nouveau quelque chose avec lui prochainement, avec un orchestre. C’est Bob Dylan…Il est, je pense, le plus grand compositeurs de chansons. On a fait un concert au Japon et j’ai besoin de refaire cela encore.
M.K. : J’ai déjà travaillé avec lui, mais pas avec un orchestre. J’aime beaucoup David et j’ai été très impressionné par l’un de ses concerts. C’est lui qui m’a dit un jour, dans les années 70, lorsque nous travaillions ensemble : « la musique rock est une musique « jetable », comme un journal. Le jour suivant, elle n’est plus ! ». Il pensait vraiment cela et moi j’étais persuadé de faire de l’ art. Je ne suis pas d’accord avec lui, je ne pense pas qu’il s’agit d’une musique « jetable » et je crois qu’il est en désaccord avec lui-même car lorsque l’on écoute sa musique, on s’aperçoit à quel point c’est vraiment excellent.
M.K. : J’en ai fait trois. Luciano Pavarotti m’a contacté pour un quatrième mais je travaillais sur un film à ce moment-là et je n’étais pas disponible. Et il n’a pas eu besoin de moi pour la fois suivante. La vie continue…Je le vois de temps en temps, on se parle… Je l’adore, c’est un personnage et un chanteur extraordinaire. J’espère pouvoir faire encore de la musique avec lui.
M.K. : J’ai choisi de raconter une histoire personnelle, ce que j’essaie toujours de faire. Cela parle de la Seconde Guerre mondiale, une terrible guerre que je n’ai pas vécue bien sûr – je ne suis pas si vieux que cela ! – mais qui me touche énormément. Mon père avait un frère jumeau et ils étaient très proches, autant que des jumeaux peuvent l’être. Or dans l’Amérique en guerre, on ne laissait pas les jumeaux servir tous les deux. Mon père ayant des problèmes à une jambe, son frère a été envoyé dans l’armée et a été tué en Allemagne trois jours seulement avant la fin de la guerre… Je n’avais pas besoin de traduire les batailles, les bombes et cette sorte de choses. Je voulais traduire la tragédie qu’a représenté cette guerre pour l’Humanité. Pour moi, c’est un requiem…
M.K. : Sans doute, mais je pense que j’ai écrit d’une manière plus mélodique. Cela représente dix heures de télévision et chacune se concentrait sur un personnage dIfférent. J’ai donc donné à chacun d’entre eux un thème et parfois un instrument précis, un harmonica, une guitare…
M.K. : C’est une rumeur . On m’a effectivement contacté pour savoir si je voulais le faire et j’ai répondu : « oui ! ». Mais c’est un film allemand, produit par une compagnie allemande et j’imagine qu’ils l’ont fait avec un compositeur allemand !…Mais oui, je voulais le faire.
M.K. : Très bien. La fondation Mr. Holland Opus a été créée après le film de Stephen Herek, lorsque j’ai découvert la triste réalité des programmes musicaux dans les écoles américaines. Ils perdent de l’argent et les programmes sont fermés les uns après les autres, essentiellement à cause des politiciens. Richard Dreyfuss (qui tenait le rôle principal du film – NDLR) a dit dans une interview que nous allons perdre des générations d’enfants avant de réaliser notre erreur. J’ai dit : « Non ! Nous allons plutôt perdre des générations de politiciens ! ». La fondation existe maintenant depuis quatre ans pendant lesquels nous avons récolté pas loin de 20000 instruments et investi près d’un million et demi de dollars dans de vrais programmes musicaux pour les écoles. Nous sommes également sur internet, et ça marche ! La fondation est prise au sérieux et a beaucoup de succès, je suis très content. Ce genre de situation est un problème partout dans le monde, en Angleterre, je le sais, en France, probablement. Alors que j’étais enfant, le système scolaire croyait qu’il fallait donner à chacun toutes les expériences possibles et les opportunités d’apprendre à jouer d’un instrument de musique. J’ai moi-même utilisé et détruit beaucoup d’instruments ! (rires). C’est important pour mi qu’aujourd’hui les enfants bénéficient des mêmes opportunités.
(1) Compositeur américain (1854-1932) qui a bâti sa carrière sur la popularité de ses marches de défilé ; parmi les plus connues aujourd’hui, Semper Fidelis (1888), The Washington Post March (1889), Thunderer (1889), Hands Across The Sea (1899) et le fameux The Stars ans Stripes Forever (1897).
(2) Notamment compositeur de Never On Sunday (Jamais le dimanche, Dassin 1960).
(3) Il s’agit là de la création d’une nouvelle illustration musicale à l’occasion de la restauration du chef-d’œuvre réalisé en 1927 par Fritz Lang : on se rappelle notamment la calamiteuse tentative de Giorgio Moroder qui, au début des années 80, avait pourvu le film d’une musique pop.
LA BOITE A ARCHIVES
Entretien paru in Colonne Sonore n°3 (Printemps-Eté 2001).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire