Dans le cadre de ce cinéma populaire, Delerue a excellé dans le domaine de la comédie même s’il a longtemps considéré avec humilité y être mal à l’aise. De cette manière, le répertoire du musicien au cours d’une bonne partie des années 60 s’est lors teinté d’un registre plus « ouvert », placé sous le signe du guilleret, du dansant, pour ne pas dire par moment du 100% mélodique. On peut penser que cette nouvelle orientation a été dictée par la « force des choses », la loi du marché et de la mode, lorsque l’on sait combien l’exploitation discographique de la musique de film en 45 tours a connu dès le milieu des années 60 un essor fleurissant. Mais il convient cependant de penser qu’en dépit des quelques concessions qu’il dû songer à faire pour composer pour ce cinéma grand public, Georges Delerue n’a pas vendu pour autant son âme au Diable.
Du galop à la polka, qui scandent les prouesses et les arrivées d’étapes des coureurs, en passant par les rythmes basques pour les scènes d’ascension (le col du Marteau) et le berceuse reprise en leitmotiv sur les images ponctuelles d’un cycliste, endormi, dérivant sur l’eau d’un ruisseau, Delerue a signé une partition d’une grande diversité et surtout d’une séduisante drôlerie, proche parfois du mickey mousing propre au cartoon américain (la délicate mélodie pour clarinette et piccolo qui épouse le geste de l’huissier semant des clous sur la route sous l’œil intrigué d’un paysan semant quant à lui du blé dans son champ).
Instrument représentatif des bals populaires, celui-ci, évoquera, sur un rythme à trois temps, aussi bien le « Gai Paris » dans Le Corniaud (1964, Oury) que la France profonde dans Les Caprices de Marie (De Broca, 1970). Utilisée en guise de musique « carte postale », la valse musette apparaîtra souvent aussi comme musique diégétique pour les scènes se déroulant aux comptoirs de petits bistrots comme dans Le Cerveau (Oury, 1969), Oublie-moi Mandoline (Korber, 1975) ou encore un film policier à l’atmosphère glacée comme Police Python 357 (Corneau, 1975).
Ce recours à la valse jouée à l’accordéon ne saurait surprendre dans ce dernier long-métrage, tant le musicien a fini par habituer le spectateur de l’époque à entendre s’exécuter un tel motif dans des œuvres aussi diverses qu’Un Monsieur de compagnie (De Broca, 1964), La Gifle (Pinoteau, 1974) ou bien encore Jamais plus toujours (Bellon, 1975). Cependant, on remarquera l’immense dextérité avec laquelle le compositeur est parvenu, en usant pourtant souvent de la même forme musicale et d’une orchestration quasi-similaire, à décliner savamment la portée émotionnelle de divers motifs.
Ce romantisme doux-amer véhiculé par la valse musette et lié à la figure du souvenir et aussi du regret, se trouvera maintes fois décliné au fil de sa carrière. On pourra retrouver cette même démarche dans le film policier de Roger Pigault, Comptes à rebours (1970), récit d’un truand qui arrive à Paris régler ses comptes après avoir purgé six ans de prison ; pour Jamais plus toujours (Bellon, 1974), histoire d’une jeune femme qui revient en France pour partir à la recherche de la vie passée d’une amie morte ou encore Tendre Poulet (De Broca, 1977), sympathique comédie où une commissaire de police retrouve un camarade qu’elle connût sur les bancs de l’université et en tombe amoureuse.
En dehors du recours à la valse, forme en définitive quasi-omniprésente dans l’œuvre de Georges Delerue, se note également la présence récurrente de la fanfare comme dans le motif principal de L’Age ingrat (Grangier, 1965), ou alors en tant que musique de source pour des films comme Le Cerveau, avec la scène, au final, des majorettes dans le port et Les aveux les plus doux (Molinaro, 1971), lors de la séquence du hold-up du cirque au début du récit.
Il est remarquable de constater d’ailleurs que pour ce type de productions, Georges Delerue a usé de motifs à l’écriture et à l’orchestration certes assez étonnantes et quelques peu décalées à la première écoute, mais qui au regard attentif des intrigues pour lesquels ils étaient composés, ont toujours trouvés à l’arrivée leur totale justification.
Dans le domaine du film policier, nous retiendrons par ailleurs la prestation de Georges Delerue pour Garde à vue (1981) de Claude Miller, un brillant huis-clos porté par l’interprétation impeccable de Michel Serrault et Lino Ventura. Une fois encore, le musicien écrira un thème d’ouverture assez surprenant (en l’occurrence ici, une forme de petite berceuse exécutée par un orgue de barbarie) mais qui là encore fera sens au regard des éléments narratifs distillés au fil du récit, dont la figure thématique de l’innocence qui parcourt l’ensemble du film (l’innocence de l’enfance/l’innocence en terme judiciaire, opposée à la culpabilité).
(3) A l'instar d'un Vladimir Cosma, Georges Delerue aimera souvent signer des motifs musicaux légers, dansants et proches parfois de la variété dans des scènes où les protagonistes d'un film se trouvent dans des lieux publics (des supermarchés, des restaurants...) ou alors à proximité d'une source musicale (juke-box, radio...).
LA BOITE A ARCHIVES
Texte paru in Colonne Sonore n°3 (Printemps-Eté 2001)